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recueillit dans le cœur de son cœur. Cette heure de crise et ces secousses, tant d’émotions douces et amères les unissaient à l’improviste ; ils communiaient à travers les épreuves passées, présentes, à venir...

— Vous me perdez !... on vient...

Ils se séparèrent. Francine les trouva pétrifiés, éperdus encore, mais elle n’y prit garde, tant sa propre angoisse l’absorbait. Les premiers mots affectueux échangés avec Charlie, elle demandait à sa mère :

— Pas de dépêche pour moi ?

Elle avait télégraphié à Éparvié. Il arriva le lendemain.

C’était l’heure où Josette allait être conduite à son père : elle regardait sa mère avec de grands yeux tristes : « Pourquoi ne me gardes-tu pas avec toi ? » semblait-elle dire. Quand on annonça Éparvié, transfigurée de plaisir, elle lui sauta au cou : il était déjà son grand ami : que d’histoires merveilleuses il lui racontait, avec quelle confiance elle sentait obscurément que celui-là pourrait la protéger !

— Savez-vous ce que Josette vient de me dire tout bas ? demanda Francine, quand elle eut remis l’enfant à la gouvernante, qui la conduisait chez Le Hagre : « Est-ce que M. Eparvié sera encore là quand je reviendrai? » Elle parle souvent de vous; l’autre nuit, elle rêvait de cette chasse au lion qui l’avait impressionnée si fort. Elle vous aime.

— Pauvre petite, répondit-il, je le lui rends profondément.

Francine mettait sa main dans la sienne avec franchise.

— Cher ami, qu’allons-nous faire ?

Sous son ferme regard, il lut l’affreux désemparement. Elle se débattait au milieu d’avis opposés : qu’il la conseillât ! À qui entendre ? Marchai était net :

— Ma chère enfant, il n’y avait qu’un moyen d’avoir votre divorce vite et sans bruit : l’accord. Je vous l’ai assez prêché : vous n’avez pas voulu, pas pu... Restait le faible espoir que Le Hagre poursuivît contre vous, sinon le divorce, du moins la séparation : les moyens différaient, le but était le même, car la guerre attestait votre commun désir de rupture. Mais là où l’un veut et où l’autre ne veut pas, dans un cas comme le vôtre, sans motifs péremptoires, l’appréciation ne dépend plus que des juges ! Avez-vous du courage ? Vous élèverez-vous au-dessus de l’opinion ? Vaincrez-vous votre orgueil, vos répugnances ?