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Ce n’est qu’en 1854 que l’ancien gouverneur eut le bonheur de revoir son élève à Prague, où il l’avait quitté vingt et un ans plus tôt. Après cette entrevue, le Comte de Chambord écrivait :


J’éprouve le besoin de vous redire encore tout le honneur que j’ai eu à vous revoir après tant d’années. Il m’a été bien doux de pouvoir reprendre ma vieille habitude de causer à cœur ouvert avec vous. Je regrette que ce temps se soit écoulé si vite. Mais vous m’avez promis de revenir, et vous tiendrez parole.


Le baron de Damas tint parole : en 1857, il alla déposer aux pieds du Comte et de la Comtesse de Chambord l’hommage de son respect et de sa fidélité. « Il passa à Frohsdorff, dit Poujoulat, des jours qui furent ses derniers grands jours. Que d’entretiens où reparaissaient les années et les hommes d’autrefois, où revenaient sans amertume les vicissitudes et les mécomptes, où les voies de la Providence étaient adorées et où l’invincible confiance restait debout[1] ! » L’émotion qu’il éprouva en faisant au prince des adieux qu’il pressentait devoir être les derniers, fut telle, que le soir même il tomba gravement malade à Vienne. Jamais il ne se remit de cette maladie. La mort d’un de ses fils, le comte Albéric de Damas, tombé glorieusement sous les balles chinoises le 18 septembre 1860, porta à cette santé déjà affaiblie une cruelle atteinte. Une dernière crise, qui l’a trouvé fort dans sa foi et fidèle à son roi, l’a emporté le 6 mai 1862, dans sa soixante-dix-septième année.

« Le Comte de Chambord. est franchement et loyalement chrétien[2], » écrivait M. de Montbel en 1837. Ce n’est pas ce qu’auraient voulu les adversaires du baron de Damas. Au moment des intrigues de la Jeune France, quelqu’un disait devant une femme d’esprit : « On veut faire de M. le Duc de Bordeaux un saint, et il nous faudrait un Henri IV ! »

« Eh ! Messieurs, leur répondit Mme Franchet, si le baron de Damas faisait de son élève un saint Louis, de quoi la France aurait-elle à se plaindre ? »

« Peu de monarques ont été des saints ; beaucoup ont été sages et heureux : Louis a réuni en lui les deux caractères. Il a possédé à un haut degré les vertus les mieux faites pour assurer

  1. Poujoulat, Études et portraits, ch. XXII.
  2. Ce qui ne l’empêcha jamais de repousser l’ingérence du clergé dans les affaires intérieures de la France. Voir sa lettre du 8 février 1873 à Mgr Dupanloup et les Notes et Souvenirs du marquis de Dreux-Brézé, V.