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orgueil. Il pense « que le diable n’est pas si noir qu’on le dépeint, ni l’enfer si chaud qu’on le dit. » Il veut « sonder les élémens », et comme les dons qu’il a reçus d’en haut et les enseignemens qu’il peut recevoir des hommes n’y sauraient atteindre, il faut que le prince de l’enfer soit son précepteur. Il est semblable « aux géans dont parlent les poètes, qui entassaient les montagnes pour guerroyer contre Dieu, ou au mauvais ange qui fut précipité dans l’abîme ». Si du moins Méphisto avait pu lui prêter réellement « les ailes d’aigle » qu’il demandait pour percer les profondeurs du ciel ! Mais le savoir qu’il lui communique n’est que la plus pauvre scolastique du temps. Il lui apprend, par exemple, que le soleil tourne autour de la terre, et qu’il répand d’autant moins de chaleur qu’il est placé plus haut dans le firmament ; en d’autres termes, qu’il fait moins chaud en été qu’en hiver. Faust a fait, sous tous les rapports, un marché de dupe.

Après avoir sondé les origines, Faust veut connaître son siècle et jouir de son pouvoir magique. Il parcourt l’Europe du nord au midi, porté sur le cheval ailé ou sur le manteau de Méphisto, amusant ses amis et ses convives, dupant le paysan et le seigneur, par des tours plus ou moins innocens. À Paris, il admire les hautes écoles. À Venise, il se régale de vins grecs. Mais ce n’est qu’à Rome qu’il se trouve tout à fait dans son élément. Il visite le palais du pape, croise la foule de ses serviteurs et de ses courtisans, voit sa table bien garnie, et demande pour quoi Méphisto ne l’a pas fait pape. À Constantinople, il se présente au sultan comme le prophète Mahomet, « sous la forme et avec les ornemens d’un pape », et il passe six jours dans le harem. De retour en Allemagne, il est mandé à la cour de Charles-Quint à Insbruck, et il faut qu’il fasse voir à l’Empereur « le puissant roi Alexandre de Macédoine et son épouse, dans leur vraie forme et attitude, tels qu’ils furent pendant leur vie ». Alexandre apparaît, en effet, « comme un petit homme trapu, avec des joues rouges, une épaisse barbe rousse, une figure sévère et des yeux de basilic ». Quant à la reine de Macédoine, Charles-Quint remarque qu’elle a dans la nuque une grande verrue brune, comme on le lui avait appris[1]. L’intention de l’auteur

    aussi un pacte avec le diable ; mais ensuite il se repent et implore Notre-Dame, qui arrache le pacte à Satan. — Voir Rutebeuf, par Léon Clédat, Paris, 1891.

  1. Marie de Bourgogne, la femme de Charles-Quint, avait, dit-on, une marque pareille dans la nuque. Quant à Alexandre, il ressemble fort au portrait de Charles-Quint.