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Métaure fut due au fait que les armées romaines occupaient une position intérieure à l’égard des forces d’Asdrubal et d’Annibal, et que le premier ne put amener par mer à son frère les renforts qui l’eussent peut-être sauvé, et dut les conduire par le grand détour de la Gaule. Les deux armées carthaginoises se trouvèrent donc séparées par une grande partie de l’Italie, et l’une d’elles put être détruite par l’action combinée des généraux romains.

Quant à Wellington, il n’aurait pu, si l’Angleterre n’eût été maîtresse de la mer, concevoir même l’idée des lignes de Torrès Vedras. Sa marche triomphale à travers la péninsule n’aurait pu été exécutée s’il n’avait eu l’appui des bases navales de la côte septentrionale de l’Espagne. Dans un temps plus récent, c’est parce que les fédéraux du Nord aux États-Unis eurent, pendant toute la durée de la guerre civile, la possession de la mer qu’ils obtinrent la victoire finale.

L’historien ne doit d’ailleurs pas tenir compte seulement de ces influences directes de la suprématie maritime sur les événemens historiques. Il doit aussi noter l’importance considérable de la possession d’une forte marine pour la création des ressources qui constituent le nerf de la guerre.

La France a prospéré quand elle a eu des Colbert et des Choiseul qui ont été des créateurs ou des rénovateurs de forces navales ; ses périodes de défaites et d’humiliation ont toujours coïncidé avec la destruction ou le dépérissement de ses flottes. L’Angleterre a presque sans interruption, dans le cours de son histoire, compté sur la maîtrise de la mer, soit d’instinct, soit éclairée par les leçons d’une expérience qu’elle ne songeait cependant pas à analyser.

Le capitaine Mahan a édifié presque entièrement sa thèse sur la comparaison de la conduite des deux peuples à l’égard du développement ou du maintien de leurs forces navales. Dans le volume cité plus haut, publié en 1889, il a appliqué sa méthode à l’histoire navale de l’Europe, depuis 1660, époque du plein essor de la marine à voiles, jusqu’à la fin de la guerre de l’indépendance américaine en 1783. C’est un exposé de la politique de la France et de l’Angleterre aux xviie et xviiie siècles, et des résultats auxquels elle a abouti, résultats qui ont toujours été l’agrandissement de la nation qui comprenait le mieux l’influence réelle de la maîtrise de la mer. C’est le défaut d’intelligence dans le