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propagation de leur espèce. Après deux ou trois générations il n’y a plus que des chats à raies noires et grises, semblables de tout point aux chats sauvages. M. Dureau de La Malle prétend qu’il en est de même pour tous les animaux et que la nature tend sans cesse à reproduire ses types primitifs. Je vous garantis l’observation relative aux chats, mais non le reste. Il serait curieux. d’observer les trappeurs et les gens des Montagnes Rocheuses, qui vivent toujours en plein air, ne mangent pas de pain, et ne boivent pas de whisky. J’ai entendu dire qu’ils sont très robustes et très intelligens. À mon avis, une des grandes causes de la dégradation moderne de l’espèce européenne, c’est notre éducation. On excite les passions des mâles, on leur apprend toutes sortes de mauvaises pratiques, tandis qu’on serre la taille des femelles et qu’on en fait des guêpes poitrinaires. D’un autre côté, on apprend de bonne heure aux deux sexes qu’il n’y a rien de bon que la richesse et qu’on doit éviter toute espèce de peine. Malgré ces préceptes, nos gens, comme vous voyez, se battent encore assez bien, et je vous avoue que cela m’étonne. Dans ma jeunesse, nous étions assez bêtes pour croire à la gloire, aux lauriers, et autres fadaises ; mais que des gens à qui l’on a prêché les intérêts matériels, et le respect de leur peau, la ménagent si peu, voilà ce que j’admire ! Vous pouvez d’ailleurs en tirer un argument pour la transmission des instincts et des qualités.

Je voudrais bien vous mander quelque chose de ce pays-ci qui valût la peine d’aller en Perse. Nous avons eu une exposition très belle, mais fort ennuyante pour les gens qui avaient comme votre serviteur le malheur de faire partir du jury. J’avais toujours cru que les hommes de lettres étaient les animaux les plus méchans de la création, et je commence à croire que les artistes méritent la première place. Pendant deux mois, j’ai vu toutes les vilenies du cœur humain au grand jour. Triste spectacle ! Adieu, monsieur, je vois par votre lettre que vous pensez à nous revenir. J’avais toujours espéré que votre voyage en Orient n’était qu’une étude, et que vous n’aviez nullement l’intention de vous y fixer pour longtemps. Je ne doute pas que vous n’en rapportiez une bonne et riche moisson, profitable à nous comme à vous-même. Veuillez agréer, monsieur, l’expression de tous mes sentimens dévoués.