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affiche résolument le dédain et presque la crainte héroïque de plaire. C’est de sa part une réaction contre l’éducation artificielle donnée à la jeune fille par les gouvernantes étrangères. Mais il y a aussi un snobisme de désordre et de malpropreté dont se gardent les pensionnaires de l’Institut de médecine. Elles sont très agréables à voir ; les étudiantes américaines reconnaîtraient des sœurs dans ces jolies personnes, d’un type bien différent du leur pourtant, aux lignes moins régulières et moins arrêtées, aux contours plus amples et plus souples à la fois. L’une d’elles me propose d’aller voir le magnifique amphithéâtre d’anatomie, excursion que je décline, me sentant un peu lasse de ma longue promenade à travers les laboratoires et bibliothèques de l’Institut et les quatre étages de l’Internat. Les pionnières des années 60-70 prétendent qu’il n’y a pas trace chez ces étudiantes enrégimentées et surveillées de la flamme généreuse qui les dévorait elles-mêmes. Celles-ci songent à se créer une carrière tout autant qu’à servir l’humanité ; elles se partagent les places de médecins dans les gymnases, collèges et couvens de femmes, dans les maisons d’éducation, les asiles, les maisons d’accouchement, les bureaux de police médicale à l’usage des femmes, la direction des dispensaires principalement affectés aux femmes et aux enfans dans les villes de province, etc. Plus ou moins elles sortent des classes aisées puisque chacune d’elles doit verser cent roubles par an, moyennant quoi elle a droit à l’enseignement gratuit de tous les professeurs et à la jouissance de tous les laboratoires ; plus 300 roubles pour la pension. Ce serait au-dessus des ressources de la plupart. Cette raison et le petit nombre des étudiantes admises dans les universités russes, deux ou trois pour cent environ, font que la poussée continue vers les facultés étrangères. Nous savons combien il y a d’étudiantes russes à Paris, il y en a au moins autant en Allemagne ; mais elles envahissent surtout les universités suisses où la vie est moins coûteuse, montrant partout le même acharnement au travail et supportant avec le même courage stoïque la même pauvreté. Celles qui reçoivent une pension de leurs parens, luttent contre des difficultés égales à celles de leurs camarades ; car elles mettent tout en commun, ce qui appartient à l’une appartient à l’autre. Nulle part la fraternité ne s’affirme d’une façon plus touchante que dans ces colonies d’étudiantes. L’une d’elles, qui prépare son doctorat en France, me dit qu’elles sont à Montpellier une