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bêtise, des favoris et une coiffure « à la Titus, » le messager n’était pas un Breton. Il traînait et chantonnait ses mots, tel qu’un Champenois de la Haute-Marne, un indigène du Bassigny. Mais son bagou était familier, et sa plaisanterie, faubourienne : le gaillard avait dû habiter Paris… L’officier ouvrit le sac, en vérifia le contenu, puis, allumant une chandelle, cacheta l’ouverture de la besace :

— A présent, mon garçon, tu vas reprendre ton ballot et descendre dans la rue. Devant la maison, tu trouveras une voiture ; tu y déposeras ce paquet, puis tu pourras aller où tu voudras… Je te donne congé jusqu’à lundi.

L’autre le regarda, étonné. — Oui, je m’absente pour quatre jours : je vais à la campagne… Ne viens donc pas ici, durant ce temps ; tu n’y trouverais personne. Mais, lundi matin, tu me réveilleras avant la diane, au jour levant : j’aurai besoin de toi.

Le brosseur écoutait, ahuri : jamais encore son officier n’avait prolongé si longtemps une absence. « Du mystère !… » Il reprit son fardeau et regagna la rue. Une charrette attendait ; il y jeta la besace, tout en examinant le voiturier. Cet homme était vêtu d’une capote grise, à grand collet, — la tenue des convoyeurs de l’armée ; il portait des moustaches et ressemblait à un sapeur… Le curieux Champenois nota ces importans détails.

Le lundi, de très bon matin, le domestique, obéissant à la consigne, vint réveiller son maître. L’aube épandait à peine ses premières blancheurs, et l’officier paressait encore sous la couverture : il s’habilla prestement. Mais, tout en astiquant, frottant, fourbissant, le cadet du Bassigny s’ébahissait… Cette chambre, qu’il avait laissée, le jeudi soir, si bien rangée, se trouvait aujourd’hui dans un complet désordre. Au long des murs, plusieurs paniers, — des gresles, étaient amoncelés sur le carreau de la pièce. Déjà recouverts de paille, ficelés et cachetés, ils portaient leurs étiquettes d’envoi. Dans l’armoire, laissée ouverte, le brosseur aperçut aussi un monceau de lettres, d’apparence bizarre, aux enveloppes rouges ou bleues, et telles « qu’un galant en adresse à son amoureuse… » Tiens, tiens, qu’était cela ?… Des poulets doux ? Farceur de lieutenant !… Mais non, ce devait être de la poésie, des chansons que leur auteur destinait à des camarades. Car il commettait des chansons