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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/155

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pourparlers, en hésitations ; c’est seulement au mois de mai 1766 qu’Henri Meister arriva à Paris.

Dès lors et pendant quinze ans, le Journal et les lettres du vieux Meister nous permettent de suivre, presque jour par jour, les aventures et les idées de son fils. Le digne père lui-même est une personnalité intéressante : vrai philosophe chrétien, esprit large et cœur droit. On aime à voir de quelle main souple et ferme il maintient son autorité paternelle sur un jeune homme lancé au milieu d’un monde que lui-même ne connaît pas. Les idées nouvelles qui lui viennent de Paris l’intéressent toujours sans jamais l’étonner. Homme d’étude et de savoir, il se montre lecteur compétent et appréciateur judicieux de ces philosophes qui font alors tant de bruit. Quand son fils, en succédant à Grimm, devra s’adresser à l’élite de l’Europe, et lui parler de toutes les nouveautés de la littérature française, il n’aura qu’à écrire à ses correspondans du même ton dont il entretenait son père.

Chez Mme de Vermenoux, chez son amie Mme Necker, le jeune Meister eut bientôt l’occasion de voir lus écrivains célèbres de cette époque. « Le grand D’Alembert, dit-il, est un petit homme sec et blême, avec de grands yeux bleus, et les paupières extrêmement rouges ; sa voix faible est claire et perçante ; il parle comme il écrit, avec beaucoup de précision et de netteté ; sa conversation est réfléchie ; mais elle n’a ni l’abondance, ni la chaleur de Diderot. »

La curiosité de Meister l’entraînait en sens divers : les bibliothèques, les prédicateurs du carême, les plaidoiries des meilleurs avocats, de Gerbier notamment, les promenades dans les environs de Paris, l’occupaient tour à tour. Son jugement n’était pas encore formé ; on le voit quand il parle de Thomas, par exemple, à propos d’un médaillon qu’une Société suisse se proposait de faire graver en son honneur : « Madame Necker, dit-il, et tous ceux qui connaissent M Thomas, désirent passionnément que le patriotisme helvétique lui rende enfin l’hommage que nous lui avons promis depuis longtemps. La Société s’honorerait elle-même en témoignant publiquement son estime au premier génie de la France. »

Le séjour de Meister à Paris ne dura que dix-huit mois, après lesquels le précepteur et son élève partirent pour la Suisse, où ils demeurèrent près de deux ans. Ce départ peut s’expliquer