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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/164

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écrivait sa Correspondance, qui demeurait manuscrite, et n’était lue qu’à l’étranger ; c’était tout. Il avait cependant un esprit fertile, et une grande facilité de plume. C’est en 1787 qu’il publia son premier livre : De la morale naturelle, qui eut aussitôt quatre éditions, et dont Wieland fit une traduction allemande, accompagnée de notes, et d’une préface louangeuse.

Dès lors, et durant quarante ans, jusqu’à sa mort, Meister ne cessa d’écrire et de publier. Réflexions morales, politique, voyages, prose et vers, on vit paraître maint volume : à vrai dire, ils étaient généralement de petit format et de mince épaisseur. Nous nous arrêterons au plus remarquable de ces nombreux ouvrages : Souvenirs de mon dernier voyage à Paris.

Meister avait fait ce voyage dans un moment historique, à l’époque où la Convention déposait ses pouvoirs, où le Directoire prit sa place ; il assista au 13 vendémiaire. Il était revenu, après trois ans d’absence, dans un pays bouleversé : à chaque pas, il était frappé du contraste du passé et du présent. Le lecteur pourra juger de son coup d’œil en lisant quelques-unes des observations piquantes qui sont répandues à poignées dans son livre :


« On a pillé, ravagé, détruit beaucoup de châteaux en France ; mais il y en avait un si grand nombre, que ceux qui subsistent encore ne permettent guère au voyageur de s’apercevoir que ce nombre ait diminué.

« Ce qui a été le moins épargné, ce sont les couvens, les abbayes, les cloches, et surtout les croix ; c’est une merveille, aujourd’hui, d’en rencontrer une. Sur la pointe des édifices publics, on les a remplacées le plus communément par le bonnet rouge, ou le drapeau tricolore. Le bruit des cloches, trop continuel, comme il l’est dans plusieurs pays catholiques, devient sans doute importun ; mais son absence totale a, je vous assure, quelque chose de triste et de sauvage.

« Concevez-vous, monsieur (ces Souvenirs sont écrits sous forme de lettres adressées à M. Féronce de Rothenkreuz, ministre du duc de Brunswick) l’extrême malheur d’un bon catholique au bord du Rhin, qui tous les jours entend la messe sur l’autre rive, et ne l’entend plus sur celle qu’il habite ! Je suis convaincu que cette seule circonstance a déterminé l’émigration d’une foule de pauvres Alsaciens.