Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obtint auprès du poète Foscolo. En 1815, au moment où disparut pour longtemps l’espoir des patriotes italiens, de voir leur pays arriver à l’indépendance, Foscolo s’était réfugié en Suisse, et il passa toute une année dans les environs de Zurich : c’est alors qu’il connut Meister. Les lettres amicales et presque filiales qu’il lui a adressées à cette époque ont été publiées par M. Adolphe Tobler, un des maîtres de la philologie romane. Dans une lettre de 1817, à ses libraires Orell, encore inédite, Foscolo écrivait : « M. Meister m’est cher comme ami, comme maître et comme père. Souvent, en désirant la mort, je m’afflige de ne pouvoir pas expirer dans ses bras : c’est à lui seul que je voudrais confier mes dernières volontés et mes manuscrits. J’avais l’intention de lui faire une surprise en lui envoyant un bel exemplaire de son Euthanasie (un des ouvrages publiés par Meister dans sa vieillesse) que j’ai tournée de mon mieux en italien… » — Voilà qui montre que Meister avait le don de plaire. Cinquante ans auparavant, quand il s’était présenté à Jean-Jacques Rousseau, sa jeunesse avait été bien accueillie du philosophe misanthrope ; et, devenu vieux, il n’avait pas perdu, on le voit, le charme qui distinguait sa personne.

La plus belle vieillesse arrive un jour à sa fin. Dans le cours de sa quatre-vingt-troisième année, Meister mourut frappé d’un coup d’apoplexie, le 10 novembre 1826. Il avait quitté Paris depuis plus de trente ans, et sa mort n’y fit pas de bruit : il était oublié. Sa longue vie l’avait fait survivre à ses contemporains ; et, quoiqu’il eût continué à écrire et à publier, la nouvelle génération ne le connaissait plus.

Henri Meister, comme Béat de Murait, le baron de Besenval et Bonstetten,. a été un de ces Suisses allemands qui, au XVIIIe siècle, ont su se faire une place avec quelque succès parmi les littérateurs français. Dans les temps qui ont suivi, Berne et Zurich ont vu naître d’autres écrivains, Jérémias Gotthelf, Gottfried Keller : mais alors le sentiment germanique s’était réveillé, et ces derniers n’ont pas été, comme les autres, infidèles à la langue allemande.


PAUL USTERI ET EUGENE RITTER.