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simultanément des mouvemens identiques. Et l’esprit de combinaison est toujours en éveil, décomposant les mouvemens complexes en mouvemens simples, transformant les mouvemens saccadés en mouvemens continus ; séparant des opérations jadis réunies dans les mûmes mains, en rassemblant d’autres jadis séparées ; et arrivant ainsi à diviser les travaux distincts, à fusionner les travaux similaires, à sérier les travaux successifs d’après la nature des travaux, des instrumens, et des produits. On invente sans cesse de nouveaux procédés pour réduire l’effort musculaire et le coût de fabrication, pour prolonger, régulariser l’effort mécanique, pour multiplier les mesures de sécurité, pour utiliser les sous-produits et les déchets, etc. Il y a donc partout, d’une part, concentration, d’autre part, spécialisation du personnel et des machines, en même temps qu’il y a partout plus de science et d’initiative intellectuelle. Et quand Marx soutient que l’augmentation de la force productrice ne coûte rien au capital, il a tort, puisqu’elle n’est possible que grâce aux progrès de la science suivant, avec l’appui du capital mis à sa disposition, les progrès de la technique ; capital, science, progrès techniques étant ainsi indissolublement liés.

Et maintenant venons-en à l’élément essentiel de la question, et considérant plus particulièrement l’ouvrier, demandons-nous s’il est écrasé sous le poids de l’engrenage capitaliste et si le capital, en favorisant les progrès auxquels nous assistons, est bien du travail mort exploitant du travail vivant ?

Si la prospérité de l’exploitation capitaliste avec le développement de la technique industrielle devait avoir pour conséquence la déchéance du prolétariat, est-ce que le travailleur du XXe siècle n’en serait pas arrivé au dernier terme de sa décadence ? Si la thèse marxiste est exacte, pourquoi l’ouvrier des villes n’est-il pas inférieur à l’ouvrier rural ? Pourquoi l’ouvrier de la grande production mécanique n’est-il pas inférieur à l’ouvrier de la petite industrie à domicile ? Pourquoi l’ouvrier électricien ou horloger n’est-il pas inférieur à l’ouvrier tapissier ou jardinier ? Pourquoi l’ouvrier américain n’est-il pas inférieur à l’ouvrier belge et l’ouvrier européen au nègre du Congo ? Pourquoi l’ouvrier moderne enfin n’est-il pas inférieur à l’ouvrier de l’âge de la pierre, alors que le capital et la machine faisaient défaut ? Or, c’est le contraire qui se produit : avec des crises passagères de recul, il y a ascension continue et effective de la classe