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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/213

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points lumineux et mobiles. Sans perdre un quart de seconde, elle divise, éparpille le temps en parcelles brèves ; on dirait que toutes vibrent et vivent, qu’elles miroitent et scintillent toutes. De ces deux « soleils tournans » que sont le Barbier de Beaumarchais et celui de Rossini, le dernier peut-être tourne encore le plus vite et jette le plus de feux. Un presto comme l’air d’entrée de Figaro : Largo al fattotum della città ! un allegro tel que l’air de Rosine, l’air même de la Calomnie et le fameux quintette : Buona sera ! nous enferment littéralement en des cercles de joie. Ainsi l’esprit dans la musique est la vitesse. Il peut être aussi la vitesse brusquement ralentie : un retard, un arrêt soudain, que suspend la cadence ou le trait final, qui le prépare, l’aiguise et le fait plus attendre pour le faire sentir mieux.

La musique ne se meut pas seulement plus vite que la parole : elle a cet autre avantage de pouvoir combiner ensemble divers mouvemens. Les personnages de la comédie parlée n’ont d’esprit que tour à tour ; ceux de la comédie musicale en ont au besoin tous à la fois. Ils en ont tantôt les uns avec les autres et comme les autres : rappelez-vous cet éclat de rire unanime qu’est le finale à l’unisson du Barbier ; tantôt les uns contre les autres ; non plus alors par la concordance, mais par le conflit des mouvemens : témoin tel ou tel finale de Cimarosa et le prodigieux finale des Noces ; plus près de nous, avec plus de puissance et de complexité, la bagarre des Maîtres Chanteurs, et, dans Falstaff, cette course de l’orchestre et des voix qu’est le délicieux finale du panier.

La musique enfin, qui précipite et multiplie le mouvement, excelle aussi à le soutenir et à le prolonger. Sans rien ôter à la vivacité d’une situation, d’un effet, d’un mot, elle en accroît la durée. Elle a pour cela des ressources d’une richesse infinie. Un couplet assez bref du Sganarelle de Molière devient le grand air du Leporello de Mozart. Et rappelez-vous ce court dialogue de Suzanne et de la Comtesse :

« Chanson nouvelle sur l’air : « Qu’il fera bon ce soir sous les grands marronniers !… Qu’il fera bon ce soir.

— Sous les grands marronniers… Après ?

— Crains-tu qu’il ne t’entende pas ?

— C’est juste. » (Elle plie le billet.)

De ces quatre répliques, Mozart fait un duo dans l’esprit de la situation et des personnages, mais dans un esprit que la