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Suzanne et le Comte, sur les adieux et le baiser du page à Suzanne, avant le saut par la fenêtre, le majeur et le mineur alternés font comme des jeux de lumière et d’ombre, de malice et de sérieux, presque de mélancolie.

Le rythme enfin, sans être un facteur suffisant de l’esprit musical, en est du moins un facteur nécessaire. C’est le rythme qui, dans la Dame blanche (trio du second acte), donne tant d’affectueux empressement à l’entrée de la vieille servante, et, dans le Barbier de Séville, tant d’élégante incertitude à la démarche faussement avinée et soldatesque du comte Almaviva. Le rythme sans doute n’est pas toujours spirituel, et même il peut être grossier ; mais il est permis d’affirmer, croyons-nous, que là où il n’y a pas de rythme, il ne saurait y avoir d’esprit. La partition des Maîtres Chanteurs est l’œuvre la plus spirituelle de Wagner, et cela ne signifie pas qu’elle ait tout l’esprit que d’aucuns lui trouvent. Elle est également, — et de beaucoup, — celle où les formes rythmiques ont le plus de fermeté, de carrure et de précision. Le rythme, avec la mélodie, faisait le fond ou plutôt l’âme, l’âme robuste et joyeuse du vieil opéra bouffe italien. Il fut, avec moins de puissance et de vie, l’âme plus sensible, mais vive et légère aussi, de notre opéra-comique français. Et c’est peut-être parce que le rythme s’affaiblit et se perd dans la musique de nos jours, que l’esprit languit en elle et que le rire s’y éteint.


III

L’esprit de la musique ne consiste pas seulement dans le mouvement extérieur et dans une vivacité qu’on pourrait croire un peu superficielle. Il va plus loin et plus au fond : jusqu’à la représentation comique de l’humanité et de la vie. Spirituels ou bouffons, certains personnages existent par les sons autant et quelquefois plus que par les mots.

La Servante maîtresse, qui tient une si grande place dans l’évolution ou plus exactement à l’origine d’un genre : l’opéra-comique, a plus d’importance encore dans l’histoire de la psychologie musicale. C’est une admirable comédie, — en musique et par la musique, — non pas d’intrigue ou d’action, mais de caractères. C’est le premier duo, voire le premier duel, risible et pitoyable à la fois, non pas entre « la bonté d’homme, » mais