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les plus respectueux de toutes les convenances, qui est un plaidoyer en faveur des congrégations. Cette lettre a un caractère collectif, et une jurisprudence, d’ailleurs discutable dans son principe, interdit aux membres du clergé toute manifestation de ce genre. Aussi le gouvernement s’est-il empressé de déférer comme d’abus les évêques au Conseil d’État, en se réservant de prendre contre eux d’autres mesures, qui ne peuvent être que la suspension de leurs traitemens. C’est là de la très petite guerre, petite par l’objet qu’elle se propose, plus petite encore par les moyens qu’elle emploie : mais elle cause une grande joie aux radicaux-socialistes, qui poursuivent la séparation de l’Église et de l’État et la suppression du budget des Cultes. La suspension du traitement de la quasi-unanimité des évêques est pour eux un commencement. Elle leur donne une sorte d’avant-goût, extrêmement agréable à leur imagination, de ce que sera un jour prochain la réalisation intégrale de leurs désirs. Le gouvernement, qui n’est pas partisan, au moins d’une manière immédiate, de la séparation de l’Église et de l’État, aurait dû comprendre le danger de la mesure à laquelle il s’est laissé entraîner sans la moindre nécessité.

Ah ! si la lettre des évêques avait été un acte politique véhément et agressif ; si elle avait contenu la critique acerbe d’une loi de l’État ; si on avait pu y relever des termes excessifs, on aurait compris que le gouvernement se crût obligé à faire quelque chose. Mais il n’y a rien de tel dans la lettre, et tout ce qu’on peut y reprendre, c’est son caractère collectif, reproche qui est à nos yeux assez puéril. Un évêque qui a refusé de signer la lettre, l’évêque de Tarentaise, voulant toutefois ne pas se séparer de ses collègues en ce qui concerne l’esprit de leur manifestation, a tourné ingénieusement, mais facilement, la difficulté, en écrivant à titre individuel une lettre qu’il a adressée aux députés de son département, ou plutôt de son diocèse. Celui-là est hors de cause ; on ne peut pas le déférer au Conseil d’État. De pareilles distinctions, dans le siècle de large publicité où nous sommes, ressemblent fort à des chinoiseries. Si encore on pouvait invoquer contre les évêques un article de loi quelconque qu’ils auraient violé, il y aurait des circonstances atténuantes à la décision du gouvernement : mais, nous le répétons, il s’agit seulement d’une vieille jurisprudence qui n’a plus guère de raison d’être, à supposer qu’elle en ait eu jadis. Rien n’obligeait le gouvernement à faire ce qu’il a fait. Aussi ne peut-on y voir qu’un acte politique, et, en disant que cet acte politique est digne de ceux qui l’ont précédé, nous le caractérisons suffisamment.