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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/269

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« Discrétion. — Communication ! » Mais le peu discret colonel avait communiqué le tout à ses chefs hiérarchiques. Delaborde, inscrit sur les envois, se disait furieux, et s’indignait… « Quel était le polisson qui s’avisait de compromettre ainsi de loyaux militaires ? Un misérable, un scélérat !… » De plus, le général fournissait quelques vagues renseignemens… Il racontait avoir couru vers les bureaux des Messageries pour y compulser les registres, et interroger les commis. Des imbéciles ! En deux jours, Thomas venait de faire partir six colis enregistrés, — pour Le Mans, Saint-Brieuc, Vannes, Dinan, Lorient, Saint-Jean-d’Angély ; — et ces niais d’employés n’avaient pas su l’apercevoir !… Chose étrange : Delaborde n’attira pas l’attention du préfet sur les couleurs voyantes des enveloppes. Pourtant, mieux que personne, il aurait pu prononcer certains noms et faire cesser bien des incertitudes.

Fort ému d’une pareille aventure, Mounier convoqua, sur-le-champ, le maire de Rennes, citoyen Guy Lorin, deux juges de paix de la ville et un commissaire de police. Alors, dans le huis clos de son cabinet, tout aussi solennel qu’autrefois à l’Assemblée nationale, il donna lecture des pamphlets, et recommanda la discrétion : « J’exige de vous, ô magistrats, un silence religieux sur cette affaire. Vous détenez un secret d’Etat : n’en parlez à personne, — pas même à vos épouses ! » Ils promirent de se taire, et la discussion s’engagea… Quels pouvaient être les coupables ? Des royalistes ou des jacobins ?… Sans hésiter, le maire de Rennes incrimina les royalistes. L’accusation étonna quelque peu le préfet : le style des libelles ne dénonçait la façon de penser, ni la manière d’écrire de l’émigré ; il ne fit, toutefois, aucune objection. Une autre question fut ensuite posée… Se trouvait-il à Rennes un typographe assez royaliste pour risquer les cachots du Temple ? On nomma un citoyen Front, mêlé jadis aux choses de la Chouannerie. Un plan de conduite fut adopté. On allait opérer une descente, rue de la Convention, à l’imprimerie suspecte ; on y ferait composer des épreuves : le papier et les caractères seraient alors comparés aux placards clandestins. «… Idée merveilleuse, citoyen préfet !… » Et les magistrats se mirent en campagne.

Royaliste autrefois militant, le citoyen Front n’était pas en honneur dans les bureaux de la mairie. On lui reprochait d’avoir, naguère, couru la brousse, parmi les Chasseurs de la Guerche,