Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il s’était, d’abord, occupé de la demoiselle *** et de sa délation amoureuse. On l’avait convoquée, entendue à nouveau, confrontée avec le terrible Bertrand, — et le drame passionnel avait tourné à la farce lugubre. Dans cette affaire où la police pataugeait en pleines ténèbres, la citoyenne indicatrice paraissait bien avoir vu clair, puisqu’elle avait parlé de Moreau. Toutefois il s’agissait de la contraindre à répéter ses dires et à compromettre le général. Ce fut le séduisant Piis qui se chargea de cette besogne.

Le citoyen Antoine-Auguste de Piis, un ci-devant noble, chevalier, fils de baron, était le secrétaire général de la préfecture de police. Comparé aux divers aigrefins qui peuplaient la rue de Jérusalem, ce royaliste accommodant aurait pu se croire honnête homme ; mais il avait trop d’esprit pour devenir sa propre dupe, et il tenait surtout à son renom de bon vivant. Chansonnier et vaudevilliste, il avait bien longtemps fabriqué des parodies, troussé le couplet « à la poissarde, » sans négliger la prose aphrodisiaque du conte libertin. Ses œuvres, — on en vendait de complètes et de choisies, — contenaient déjà, en 1802, une cinquantaine de comédies-parades, « divertissemens » ou « facéties, » des Cassandre oculiste, des Sabot perdu, des Gâteau à deux fèves, des Abbé vert, et autres joyeusetés. Il est vrai qu’aujourd’hui, fonctionnaire important, M. le chevalier n’agitait plus les grelots de Momus ; mais Comus (une belle rime !) et les repas friands le captivaient encore. Fondateur des « Dîners du Vaudeville, » et bientôt du « Caveau Moderne, » chaque semaine, ce quinquagénaire impénitent s’en allait, rue de Chartres, célébrer en folâtre compagnie le jus de la treille, les charmes de Catin, l’innocence de Fanchette, et aussi les gloires et vertus du Premier Consul. Gouffé, ou bien Népomucène, suivant le plat du jour !… Oui, mais passe-temps de soirées ! Dans les bureaux de Jérusalem, l’homme aux faridondaines travaillait autrement ; il y pratiquait l’interrogatoire, et landerirette, faisait empoigner son monde, pour le coffrer à Pélagie, landerira : … un aimable garçon !

Donc, le lundi 18 prairial, Mlle *** comparut devant Piis. L’auteur du Saint déniché lui donna lecture de sa déclaration première, l’extravagante histoire de beurre destiné à François Rapatel, « l’adjudant du général Moreau… » Maintenait-elle cette déclaration ? La voulait-elle signer ?… Bien stylé par Dubois,