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revenir à Paris, et d’avance y avait envoyé sa malle… Voilà ! » Pourtant, la « caisse cordée » du bon jeune homme était, pour lui, des plus compromettantes. Parmi les nippes et les fripes, elle recelait un exemplaire des placards, et des couplets contre le Premier Consul. La chanson, injurieuse et grossière, était écrite sur du papier rouge, — celui qui servait à fabriquer les enveloppes des libelles. En outre, on découvrit dans ce bagage une sorte de rébus qui intrigua vivement le soupçonneux Dubois : le chiffre 1205, sans autre indication… Qu’était cela ?…

Le préfet donna des instructions à la servante et à son maître… « Quand Jourdeuil viendra demander sa malle, vous l’enverrez à la Cour Neuve : dépôt des objets trouvés… » Le piège à rats !… Huit jours plus tard, un grand flandrin de paysan se présentait à la consigne : on l’empoigna. Aussitôt s’engagea une sinistre parade, joute émouvante entre l’astuce et la violence, le campagnard et l’estafier. Le préfet voulut interroger, lui-même, l’infime rustaud. Par deux fois, en un seul jour, il fit comparaître Jourdeuil, le harcelant de questions insidieuses, lui tendant des traquenards. Mais il avait affaire à forte partie : le blaisot de Champagne se montrait aussi matois qu’un Lorrain, plus franc conteur qu’un Franc-Comtois. De sa voix traînante il rusait, biaisait, niaisait, faisait son parfait imbécile… « Eh bien, quoi ! Que lui reprochait-on ? Il avait trouvé un papier rouge dans le ruisseau, et l’avait ramassé. Etait-ce un crime ? » Quant à la chanson, il en revendiquait la gloire : le gaillard se déclara poète… Dubois perdit patience… « Bouche cousue ?… A Bicêtre !… »

Bicêtre était alors une geôle redoutée, la plus infâme de ces atroces prisons qui étalaient leurs noirceurs délabrées dans les rues de Paris ou la campagne de sa banlieue. Elle était placée sous la surveillance de la préfecture de police, — huitième division, dirigée par le citoyen Parisot. Mais ce Parisot observait assez mal les règles de l’hygiène, car son Bicêtre passait pour une « guillotine sèche. » Bien humide cependant ! D’effroyables légendes circulaient dans le public sur les horreurs de ces cachots. On parlait surtout de certains cabanons où, dans les moisissures souterraines et les puanteurs ordurières, on déposait un prévenu. Ces légendes, d’ailleurs, n’étaient que vérités. Les cabanons existaient ; ils avaient pour emploi d’assagir les mauvaises têtes, ou de rendre loquace la muette obstination d’un