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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/306

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d’école du voisinage, animé de sentimens libéraux, eut quelques démêlés avec les autorités laïques et ecclésiastiques de son village : et, dès que l’ordre fut rétabli dans l’Empire, ce rêveur se vit privé de son gagne-pain. Par charité instinctive, et par animosité personnelle contre certain ennemi du disgracié, la communauté d’Alpel le recueillit, lui offrant le vivre et le couvert chez chacun de ses membres tour à tour, à charge d’enseigner en revanche à la jeunesse de l’endroit la lecture, l’écriture, les premiers élémens du calcul, et de donner aussi, à l’occasion, un coup de main pour les travaux agricoles. La salle d’école émigrait de grange en grange selon la ferme où séjournait pour l’heure le pédagogue politicien. Si nous nous en fions pourtant aux croquis sympathiques et même attendris de son disciple, ce n’était pas un révolutionnaire bien dangereux que Michel Patterer, vieil enfant naïf et bienveillant, qui instruisit avec autant de conscience que de douceur la turbulente jeunesse confiée à ses soins. En effet, pour parler de son ancien maître, l’élève qui lui fait tant d’honneur semble retrouver les émotions mélangées de son enfance : « Il me faut rire et pleurer tout ensemble chaque fois que je songe à lui : son destin fut si étrange, son cœur était si brave et si bon[1] ! » Et l’instituteur libre d’Alpel méritera sans doute sa place au pied du monument que la Styrie élèvera quelque jour à son poète national : car, en compagnie du maître tailleur Orthofer, du journaliste docteur Svoboda, et de l’écrivain Hamerling, il peut passer pour l’un de ceux qui, après les parens de Rosegger, ont façonné son âme et fixé sa destinée. Et, notons-le dès à présent, ce fait ne fut probablement pas dépourvu de conséquences pour l’avenir du disciple que son premier éducateur ait été un chrétien de cœur, mais aussi un indépendant sur le terrain religieux, et même un utopiste en matière sociale.

Pierre avoue qu’on ne le compta point parmi les auditeurs les plus assidus de l’école improvisée : son tempérament sensitif souffrait de la brutalité qu’il rencontrait chez la plupart de ses camarades, et il avait l’horreur du calcul, disposition qui ne l’abandonna pas lorsque, plus tard, on songea à faire de lui un commerçant. Mais il apprit du moins à lire et à écrire, et reçut par là les clefs de ce monde mystérieux des livres, vers lequel il

  1. Als ich jung noch war.