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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/327

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ont achevé de « déraciner » la majorité des travailleurs et créé ou multiplié le prolétariat. Dans les grandes villes, beaucoup d’ouvriers n’ont pas de famille, très peu ont un foyer : ils vivent d’une vie nomade, au hasard de l’embauchage. Les salaires incertains, le besoin de jouissances, les tentations de tout genre leur rendent à peu près impossible l’épargne individuelle ; la vieillesse et les infirmités viennent à l’improviste souffler sur cette poussière humaine. Pour le plus grand nombre, l’avenir apparaît sous la forme d’un lit d’hôpital, et trop souvent les familles, même relativement aisées, n’ont plus un endroit pour recueillir et soigner leurs parens âgés ou malades.

Pour n’envisager que la France, nous trouvons dans une statistique publiée par M. Cheysson des chiffres tristement éloquens. Sur 10 millions d’ouvriers, 588 000 personnes sont annuellement réduites à l’inaction ou meurent, laissant après elles 355 000 autres personnes, femmes, enfans ou ascendans que leur travail faisait vivre. Chaque année il tombe à la charge de la charité publique ou privée près d’un million de personnes à qui on ne saurait imputer aucune faute personnelle et qui se trouvent privées de leur gagne-pain. Il faut encore noter que, dans ces calculs, on ne fait pas entrer les ouvriers victimes de chômage accidentel, faute de travail. Comment ne pas conclure avec M. Cheysson : « En face des chiffres qui précèdent, on est vraiment épouvanté du total des souffrances qu’ils révèlent. C’est l’honneur de notre siècle de n’avoir pas voulu se courber devant ces crises comme devant une sorte de fatalité inéluctable et d’avoir cherché à les adoucir par la charité ou à les enchaîner par la prévoyance et le calcul. Non, le mal n’est pas fatal ; nous avons les moyens de lutter contre ces crises, d’amoindrir, d’atténuer leurs conséquences. Il existe d’abord une catégorie d’accidens qu’on peut conjurer… Quant aux autres, c’est à l’assurance qu’il faut recourir pour amortir le choc ? »

En termes exacts, la question se pose ainsi : — Peut-on faire quelque chose pour soulager ces misères ? Doit-on tenter de résoudre législativement et par voie d’autorité ce redoutable problème ? Est-ce affaire privée ? Est-ce question d’Etat ?

Nous ne rentrerons pas ici dans les controverses ; nous nous bornerons à rappeler qu’il se présente : 1° une solution libérale, tendant à trouver dans le développement de l’idée mutualiste le moyen d’assurer facultativement la vieillesse des travailleurs ;