Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notamment le lieutenant-colonel d’artillerie Minot, avaient réussi à s’évader en traversant Lunéville.

A Wissembourg, nous trouvons également des parens d’officiers qui viennent aux nouvelles. Puis nous entrons en Allemagne, assaillis à toutes les gares par la curiosité joyeuse, humiliante des populations.

A Mayence, on nous fait donner la promesse de ne pas quitter nos lieux d’internement ; et je suis dirigé sur Wiesbaden avec le général de Berckheim et son état-major.


I

Je m’installai à Wiesbaden avec mon ami le capitaine d’artillerie Danède, dans un petit appartement très confortable, chez un maître de manège de la ville. Nous prenions nos repas en commun avec plusieurs amis, prisonniers de Sedan ou de Metz. Le parc de Wiesbaden nous offrait des buts de promenade charmans. Le soir, nous passions quelques heures au Kursaal, à lire les journaux ou à voir jouer, car la roulette marchait comme d’habitude et les croupiers faisaient entendre leur : « Faites votre jeu, messieurs, » comme si, de l’autre côté du Rhin, tout n’était pas à feu et à sang.

Parfois, on sentait de l’émotion dans la ville. Les habitans se groupaient dans les rues. C’étaient les nouvelles de quelques batailles, — de victoires, hélas ! pour eux, — et les maisons se couvraient de drapeaux prussiens : noir et blanc, des drapeaux de deuil.

Depuis mon arrivée à Wiesbaden, j’avais souvent des nouvelles d’Alsace ; tous les hommes valides, en France, étaient à l’armée ; mon frère était enfermé dans Belfort assiégé, avec sa compagnie de gardes forestiers ; mes parens, mes amis d’enfance se battaient à ma place, pendant que je menais, à quelques lieues de notre malheureux pays, une vie facile et agréable.

Cette pensée m’obsédait et me rendait mon inaction insupportable. Je résolus d’essayer, coûte que coûte et sans faillir à l’honneur, de me joindre à ceux qui défendaient notre pays.

Le 7 décembre, après avoir pris l’assentiment du général de Berckheim, qui fut, dans cette circonstance, comme toujours, bienveillant et plein de cœur, je portai moi-même au général von Sænger, commandant la place de Wiesbaden, une lettre