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de la Virginie. Le président actuel, étant l’avant-dernier des drôles et ivrogne, ne manquera pas de faire des choses singulières. Les Anglais et je devrais dire les Européens font, je crois, beaucoup trop de complimens de condoléance à propos de ce meurtre. Ils montrent trop la peur qu’ils ont du giant boy, et tout ce qu’ils y gagneront, c’est d’accroître la prépotence et la grossièreté des Yankees.

Je croyais que les choses allaient mieux ou un peu moins mal à Athènes. Que devient donc l’argent, car le pays en rapporte bien un peu. Que deviendront les descendans de Thémistocle quand ils auront fait une nouvelle révolution ? Faudra-t-il, pour régénérer ce malheureux pays, y envoyer des Belges, le dernier effort du Créateur arrivé à la perfection par la pratique ? Je voudrais bien que vous me répondissiez à toutes ces questions. Si vous pouviez me dire aussi ce que va devenir l’Espagne, vous m’obligeriez. Je vous ai dit, je crois, que j’y avais passé les mois d’octobre et de novembre de l’année passée. Les progressistes se préparaient très ouvertement à une révolution. Ils ont fait un essai le 10 avril, avec des gamins en tête, selon la vraie tactique parisienne. Narvaez, en faisant tirer et sabrer à tort et à travers, les a un peu déconcertés. Les vrais émeutiers se sont tenus cois, les curieux et les curieuses ont attrapé des balles et des coups de sabre. L’opposition, toujours assez prudente, a changé de batterie. C’est à coups de gueule qu’elle attaque à présent, et elle fait grand bruit. L’argent manque à Madrid comme à Athènes. La garde municipale, sans argent, sabrera-t-elle toujours avec la même énergie ?

M. Thiers a reçu les cartes de tous les évêques de France et les complimens de toutes les duchesses[1]. Ç’a été, me dit-on, un succès et un enthousiasme prodigieux dans le beau monde. Pour moi, je n’ai rien lu de plus indigne d’un homme d’État, de plus puant de vanité et de plus ridicule quand on sait que le motif de son admiration pour l’Autriche tient à un dîner que l’Empereur lui a donné[2]. O vanitas vanitatum !

Tout le monde ici blâme le voyage d’Algérie et voudrait que

  1. A propos de ses discours des 13 et 15 avril Sur la question romaine (Discourt parlementaires, Calmon, X, 1-51).
  2. Tout cela est développé dans une lettre du 16 avril, à Cousin (Lettres inédites, p. 156). Sur les relations de Mérimée avec M. Thiers, Cf. F. Chambon, Lettres inédites de P. Mérimée, p. LXXXVI-CXVI.