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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/426

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molles vapeurs qui flottent dans l’air ou, plutôt, rampent au-dessus du sol. Quiconque se rend à pied de Cambridge à Ely voit ou devine autour de lui une nature pauvre, maussade, engourdie. Sous une latitude plus méridionale, ce serait un pays de malaria : à cette faible distance du cercle arctique, ce n’est qu’un pays de lymphatisme. Tout à coup s’élève un vent furieux qui vient des mers glaciales de l’Est. Il balaye les nuages, inonde la campagne d’une lumière violente et crue qui accuse impitoyablement les contours et les couleurs. On dirait une colère soudaine succédant à une longue torpeur et à des rêves fiévreux.

Telle la terre, tels les hommes qu’elle a portés. C’est dans cette région que la famille de Cromwell était établie depuis un demi-siècle lorsqu’il est venu au monde ; c’est là qu’il a vécu les quarante premières années de sa vie. Ce que nous savons de sa physionomie, de son tempérament, de ses allures ne dément pas les influences héréditaires et climatologiques. Lorsqu’il nous apparaît enfin d’une manière distincte, — c’est au cours des premières séances du Long-Parlement, — sa figure est rouge et gonflée (his countenance red and swollen). Nous avions déjà entendu parler de certaine bande de flanelle écarlate dont il s’emmaillote le cou pour aller le dimanche à l’église. Cela signifie qu’il a de continuels maux de gorge et explique assez bien cette voix dure et discordante (harsh and untuneable) qui devait être aussi pénible à émettre qu’à entendre. Son médecin nous dit qu’il était valde melancholicus. Dans cet homme si énergique il y a un peu du valétudinaire et beaucoup de l’hypocondriaque. D’ordinaire, il rumine d’un air sombre ; puis il est secoué d’âpres colères, comparables à ces furieux coups de vent d’Est sous lesquels se courbent tous les arbres de la contrée. Il lutte sans cesse contre les fièvres qui sont en lui, et reparaissent à intervalles, et, enfin, le terrassent. Faut-il attribuer à ces fièvres les fancies dont nous parlent les témoins de sa jeunesse et qui indiquent un état mixte entre l’exaltation et l’hallucination ? Ou sont-elles liées aux crises intérieures qui ravagent la conscience du puritain jusqu’au moment où il se croit en communion avec son Dieu ? Probablement les deux influences conspirèrent. C’est de 1620 à 1628 qu’il a livré ces affreuses batailles intimes dont l’angoisse a laissé une trace dans la fameuse lettre à sa cousine, Mrs Saint-John. « J’étais le plus grand des pécheurs… je haïssais la lumière… » Ses ennemis