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Lorsqu’il vient prendre sa place dans le Long-Parlement, il n’y apporte en guise de principes que la haine de Laud et de Strafford. On dit autour de lui, et il répète avec les autres, que le roi n’a pas le droit de lever des taxes sans l’aveu du Parlement, que le salut de l’Etat est dans une distinction très nette à établir entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Quand il sera le maître, il percevra des impôts qui n’auront été votés par personne et dépassera tous les scandales du ship money. Au début de la levée de boucliers parlementaires, il est un des premiers à se saisir de l’exécutif et quand il est le gouvernement, il fait des lois tout seul et promulgue des constitutions fantaisistes qui reposent sur la confusion des deux pouvoirs. En 1645 on l’entend dire qu’il espère voir le jour où il n’y aura plus un seul lord en Angleterre. C’est sous son inspiration que la Chambre des pairs est d’abord mise en suspicion et en interdit, puis supprimée. Huit ans plus tard, il fabrique une pairie de sa façon et marie ses deux dernières filles à de grands seigneurs. Sur la grande question, l’existence du pouvoir royal, que de pitoyables variations ! Sa politique en 1647 se résume successivement par ces deux phrases difficiles à concilier : « Pas d’arrangement sans le roi !… Pas d’arrangement avec le roi ! » Comme toujours, ce sont les faits, non les argumens qui le convainquent et la fuite de Charles lui révèle le dogme de la souveraineté populaire. Au moment où l’on propose de mettre Charles en accusation, il déclare que l’idée d’attenter aux droits du prince et de sa descendance ne pourrait venir qu’à des misérables et à des traîtres. Quelques jours à peine se sont écoulés lorsqu’il crie, à Algernon Sidney, qui conteste la légalité du tribunal : « Nous lui couperons la tête, avec la couronne dessus ! » Le roi décapité, que faire ? Quelqu’un avait entendu Olivier rendre cet oracle : « La République est désirable, mais elle est impossible. « Pourquoi désirable ? Et pourquoi impossible ? Cette République impossible, il la fait : cette République désirable, il la confisque et l’étouffé. N’est-ce pas à lui, plus qu’à tout autre, qu’il faut appliquer un de ses mots les plus singuliers : « Ceux qui vont le plus loin sont ceux qui ne savent pas où ils vont ? »

Les sociétés modernes ont deux grandes sauvegardes : la liberté et la légalité. Quelques hommes, au XVIIe siècle, ont passionnément aimé l’une ; beaucoup ont compris, pratiqué et défendu l’autre d’une façon parfois étroite et littérale, mais