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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/437

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agissent-elles de leur propre mouvement ? Avaient-elles reçu un mot d’ordre dont l’auteur anonyme a su se dérober aux curiosités de l’histoire ? Ce qui est certain, c’est que Cromwell s’est incliné dans les deux cas, avec une passivité qui serait bien étrange si elle n’était volontaire et calculée. Pendant qu’il négocie avec le roi, à Hampton-Court, les têtes chaudes de l’armée, à quelques pas de là, complotent l’assassinat du souverain. Cromwell semble impuissant à le protéger et quelques historiens croient qu’il a laissé le roi s’échapper de ses mains pour le soustraire à cette éventualité. Ce qui nous frappe, c’est que, le roi disparu, Cromwell retrouve toute son énergie. Deux régimens se mutinent et le lieutenant général punit les instigateurs de la révolte avec une sévérité aussi prompte que terrible. La seconde guerre civile éclate et, comme toujours, le danger rétablit la discipline. Aussitôt la guerre terminée, nouvelle invasion de l’armée dans la politique. Elle se saisit une seconde fois de la personne royale et elle élimine du Parlement, quelques jours après, tous ceux qui lui déplaisent.

Quel est le véritable auteur de ces deux coups d’Etat, presque simultanés, où l’on ne voit apparaître que des subalternes ? Encore une énigme de l’histoire. Mais, officiers et soldats, toute l’armée suit. C’est sous la menace des mousquetaires et des piquiers de Cromwell que se joue la tragédie de 1649. Dès lors le Parlement (ou ce qui en reste) et l’armée sont dans les mains du même parti. Le sang du roi est sur tous deux. Ils devraient être, semble-t-il, à jamais solidaires dans leurs responsabilités comme dans leurs aspirations. Pourtant l’antagonisme subsiste ; il se réveille plus intense que jamais, en 1652 et 1653, lorsque l’armée a achevé son œuvre en Irlande et en Écosse et lorsqu’elle s’aperçoit que le Parlement n’a même pas commencé la sienne, c’est-à-dire l’organisation de la nouvelle société puritaine. Inutile de rappeler comment la rupture se produit : de toutes les scènes de la Révolution anglaise, c’est la plus connue et je ne cherche pas ici le pittoresque, le drame, mais la philosophie de cette Révolution.

Le terrain est déblayé ; les légistes ont disparu. Les godly men, les hommes « qui craignent Dieu » vont réformer l’Etat. Ils attendent leur heure depuis douze ans : elle sonne enfin. Autour d’une longue table viennent s’asseoir les membres de ce Parlement qui n’est pas un parlement, mais une commission