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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/448

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savons plus nous prêter, quand il faudrait, à la joie d’être jeunes : il est vrai que nous nous rattrapons plus tard et hors de saison. L’amoureux romantique avait vingt ans ; nous lui avons substitué le quadragénaire encore très présentable. André Jossan a commencé par être un viveur. Le moyen sans cela de connaître la vie ? D’ailleurs une règle constante de la psychologie théâtrale veut que l’oisiveté, le jeu et les liaisons faciles soient les meilleurs préservatifs pour une âme bien placée. La fête est l’incomparable école des beaux sentimens. Un matin André Jossan s’est trouvé, en face du tapis vert, parfaitement décavé et subitement converti. Il a compris la nécessité de se faire une situation honorable dans le monde. Jadis il est très probable qu’il se fût découvert une vocation pour le métier militaire ; le régiment était un asile tout prêt pour ceux qui avaient un peu abusé de la vie : on allait guerroyer en Afrique. Mais les temps sont bien changés : la carrière d’officier n’est plus ce qu’elle était autrefois. La poussée moderne se fait du côté de l’industrie. André Jossan sera un grand industriel. À ce propos, nous apprenons avec un réel plaisir qu’il est bien plus facile qu’on ne croit de devenir un grand industriel : il suffit de le vouloir. Et Jossan est un homme de volonté. Il n’y pouvait manquer. La volonté est à la mode. Elle l’est tout au moins dans les livres, dans les harangues des pédagogues et des conférenciers. Jamais on n’avait tant parlé de cette vertu que depuis qu’elle s’est faite si rare. Plus nous constatons autour de nous de mollesse, d’effacement dans les caractères, d’inertie et d’inaptitude à vouloir, plus nous entonnons avec verve et conviction l’hymne obligatoire à l’énergie. André Jossan a une volonté de fer. Il l’affirme, il le répète ; c’est son refrain. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il le prouve : car d’un bout à l’autre de la pièce, s’il parle beaucoup, il agit peu. Mais pourquoi refuserions-nous de l’en croire ? Il est volontaire par définition et c’est ce qui le distingue de ceux qui ne sont pas volontaires. Viveur que l’âge a calmé, industriel qui a fait fortune, lutteur que son énergie plonge dans l’admiration de lui-même, comment ne pas aimer un pareil homme ? C’est, à la date de 1902, l’idéal de toutes les femmes.

Dans une bergerie suivant la formule il faut un loup, et dans une pièce convenablement aménagée il faut un traître : sans quoi, la satisfaction nous serait refusée de voir au dénouement le traître confondu. Dans la Châtelaine, il y a deux traîtres. C’est d’abord Mme La Baudière. Cette méchante femme ne s’est-elle pas mis en tête de marier sa fille à André Jossan ? Pour nuire à Thérèse, il n’est pas de vilaines intrigues qu’elle ne mette en œuvre. Insinuations perfides, calomnies,