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pétards. J’ai bien peur que le dernier acte ne soit une très vilaine révolution, d’autant plus vilaine que les Allemands sont lourds en tout, et que, s’ils se mettent une fois à la guillotine, il est à craindre qu’ils n’abusent de cet instrument civilisateur à ce que dit le citoyen Barère.

On trouve ici que le rideau tarde trop à se lever, et il y a quinze jours qu’on crie : « La toile ! » Jusqu’à présent, point de bataille. Mais le choléra est dans l’armée prussienne et le typhus dans l’autrichienne. Selon toute apparence, dès qu’il y aura contact il en résultera un échange de maladies qui feront du chemin. Ici, après avoir eu une peur bleue, on commence à se rassurer un peu. Il est certain que le ministère de la Guerre ne se préoccupe en ce moment que de la question de savoir si les shakos seront haussés ou baissés d’un centimètre. On ne fond pas de canons, on n’achète pas de chevaux, mais on en vend à tout le monde. Tout l’or nous arrive et on ne sait qu’en faire, sans parler de l’argenterie d’Allemagne qu’on nous envoie par tous les trains, de peur qu’elle ne s’égare. M. de Metternich a dit à un ministre étranger de mes amis, que son gouvernement avait promis au nôtre de ne pas attaquer ; de se borner à repousser ; il se serait même engagé à ne pas poursuivre au-delà du quadrilatère. Ζεὺς ἂν θέλῃ ! Rien de plus drôle que la figure de nos collègues messieurs les diplomates dans le moment actuel. Le Prince de M. tourne à la pâleur, M. de Goltz à la rougeur. Nigra a toujours l’air d’un joli tiranno d’opéra.

Découvrez-vous quelque belle chose ? On vient de nous apporter un gros vase d’Amathonte. J’aimerais mieux quelque chose de plus portatif. Fait-on à Athènes quelque bon recueil de chants populaires ? Si oui, prenez-m’en un exemplaire, car j’en suis grand amateur. Je comprends encore ce grec-là, et plus du tout celui de vos grands orateurs. Ici, nous n’écrivons et ne lisons que des platitudes. J’ai essayé de lire les Travailleurs de la mer, mais le courage ma abandonné avant la fin du premier volume. Il me semblait relire Han d’Islande[1].

Adieu, cher monsieur, je vous souhaite force vases, pierres gravées et inscriptions et peu de révolutions. Je suis toujours poussif, un peu moins depuis qu’il fait chaud. Ἔῤῥωσο.

  1. Mérimée, qui avait été très lié avec Victor Hugo, vers 1830, rompit avec lui peu après ; il ne perd pas une occasion de critiquer ses ouvrages. Cf. sa lettre à Jenny Dacquin à propos des Misérables. (Lettres à une Inconnue, II.)