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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/497

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L’instruction de l’affaire se poursuivait, sans rien apprendre. Chaque jour, escorté d’un greffier ou du commandant d’armes, le préfet se faisait ouvrir les geôles des deux prisons de Rennes. Tantôt il y rendait visite à l’imprimeur Chausseblanche, et tantôt au vaguemestre Bertrand ; mais les deux inculpés lui servaient une comédie qui ne l’amusait guère… Chausseblanche niait avec assurance, et geignait avec énergie. Il se disait mourant : la goutte, un érisypèle, trois ulcères à la jambe ; vraiment l’humidité de son cachot le tuait. Puis, il se lamentait, — pauvre homme ! — sur son épouse enceinte, ses enfans en bas âge, sa mère octogénaire, ses traites impayées, sa faillite certaine : lui faudrait-il léguer à des êtres chéris la misère et le déshonneur ? Au demeurant, il ne savait rien ! .. Avec Bertrand, la farce était moins éplorée, et se faisait impertinente.

— Vous connaissez Jourdeuil, votre domestique ?

— Oui, certes ; je l’ai congédié : un coquin, émissaire des chouans.

— Emissaire des chouans ?

— Parfaitement ! Il a soigné un cheval dans l’écurie d’un ci-devant noble.

— Vous connaissez aussi Chausseblanche, l’imprimeur Chausseblanche ?

— Attendez donc,… je me rappelle : il m’a vendu parfois de la cire à cacheter.

— Des libelles outrageant le Premier Consul ont été déposés aux Messageries de Rennes.

— Vous me faites frémir. Mais c’est abominable !

L’interrogeant préfet sortait alors de ses dossiers six enveloppes, — de larges enveloppes rouges ou bleues, et en désignait les suscriptions :

— Connaissez-vous cette écriture ?

— Aucunement.

— On affirme, pourtant, qu’elle ressemble à la vôtre.

— Ce griffonnage ?… Moi, je calligraphie !

— Les experts vous contrediront.

— Des ignorans !

— Eh bien ! voici une plume : écrivez.

— Plaisantez-vous ? Suis-je devant un conseil de guerre ? Moi, militaire, je ne vous connais pas.

— Je désire avoir un spécimen de votre écriture.