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XIX. — COMME UN FRÈRE

La berline qui voiturait Edouard Simon employa trois jours pour atteindre la barrière des Bons-Hommes, surprenante lenteur, et cependant toute la vitesse d’un courrier. Le 8 messidor (27 juin) elle entrait dans Paris, et, vers les six heures du soir, s’arrêtait devant les bureaux du ministère de la Police.

Ces bureaux occupaient alors une maison située dans la rue des Saints-Pères, à droite, en descendant vers la Seine, entre les débouchés des rues de Lille et de Verneuil. Fort à l’étroit dans ce local, les commis s’y trouvaient entassés l’un sur l’autre, et l’espace manquait à leurs chefs pour caser au large la moisson chaque jour foisonnante des dossiers et l’amas envahissant des cartons. Derrière ce logis des terreurs, verdoyaient les massifs d’un superbe jardin qui, s’allongeant vers le quai Voltaire, rattachait les différens services à l’hôtel privé du ministre…

Dénoual et son prisonnier mirent pied à terre, puis gravirent l’escalier jusqu’à un entresol où se trouvait placé le cabinet du citoyen Desmarets. Suivant ses instructions l’officier de gendarmerie devait remettre le général aux mains du chef de la Police secrète ; il apportait, en outre, une lettre explicative pour le ministre. Fouché ignorait encore l’arrestation, et Mounier lui racontait l’aventure : à sa lettre était jointe la déclaration rédigée par le « dernier Romain. »

Malgré l’heure avancée du soir, Desmarets travaillait encore, et ce fut lui qui, tout d’abord, reçut le prisonnier. Le complot des libelles, la récente machination de Donnadieu, mais surtout les âpres semonces de Bonaparte avaient ravivé le zèle chez ces messieurs de la Police. Fouché lui-même, ce bon père de famille, allait moins souvent à Pont-Carré, et, ce jour-là, il n’avait pas quitté l’hôtel du quai Voltaire. Le chef de la Division secrète le fit donc prévenir, sur-le-champ, lui expédiant par un huissier les diverses pièces qu’apportait Dénouai. En attendant la réponse du ministre, il invita Simon à s’asseoir dans son cabinet, et lui adressa quelques mots de douloureuse et sympathique bienvenue. Homme de bonne compagnie, l’ancien curé de Longueil avait gardé du séminaire une onction toute sacerdotale. Son parler était doux, son langage plein de retenue, ses menaces même s’exprimaient avec mansuétude, et ses