Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/522

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désespéra en vain. Très pauvre et chargé de famille, les seules batailles qu’il livrait maintenant étaient contre l’huissier et le garde de commerce : son Temple se nommait la prison pour dettes. Le dossier du famélique Simon porte un accablant témoignage contre ce gouvernement de 1815, qui marchanda l’aumône aux mutilés de nos batailles, et ne sut pas s’honorer en honorant la France… Enfin, au mois d’avril 1827, la mort vint mettre un terme à cette destinée tragique : le doyen des généraux expira sous l’étreinte de la plus navrante des misères… L’éclat d’obus anglais qui avait jeté, sanglant, Edouard Simon sur les bruyères de Busaco, eût mieux fait de le tuer tout entier.

Mais si les acteurs du bizarre imbroglio se virent malmenés un moment, l’auteur, dissimulé dans la coulisse, renia impudemment son œuvre. La conduite que tint le rusé Bernadotte fut plus comique encore que la sournoise intrigue de sa comédie. Brusquement, il partit pour Plombières, oubliant dans sa fuite Pinoteau et Simon, Marbot et Fourcart, emprisonnés à cause de lui. Et, tandis que ces officiers se morfondaient sous les verrous, leur général humait, en pleine tranquillité, les senteurs de la Vosge, et se plongeait dans les piscines : une magnifique indifférence. Joseph, durant ce temps, intercédait pour son beau-frère, et l’époux de Désirée Clary put se croire pardonné. Il se trompait. A son retour, rebuffades et sorties violentes recommencèrent ; Bonaparte ne voulait sévir, mais il mortifiait. Redoutant toutefois un dénouement fâcheux, Bernadotte fit mine de s’esquiver ; au mois de septembre 1802, il sollicita une ambassade aux Etats-Unis. La requête fut agréée ; mais le « Gascon » ne partit pas. Il était si malade ! — d’un mal qui déroutait la science des médecins, — la désespérance de vivre, les langueurs de la mélancolie : René, déjà même Obermann !… L’hypocondrie pourtant se dissipa, et tout d’un coup. Nous dirons en d’autres récits de quelle façon, recouvrant la santé, ce rare comédien devint maréchal de l’Empire, et comment il obtint toute une moitié de la fortune confisquée à son ami Moreau. On connaît le reste de sa vie. Prince de Ponte-Corvo, puis, en un jour de malheur, héritier de la couronne de Suède, Charles-Jean, put installer enfin Désirée Clary dans un palais. On sait aussi quelle sorte de tendresse il témoigna à son pays, quand, à Gross-Beeren, Dennewitz et Leipzig, commandant le Suédois, le Prussien et le Russe, il mitrailla sans vergogne nos pauvres petites