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Bonaparte avait voulu s’épargner un scandale ; il ne put cependant imposer le silence. On jasa, et le public connut la « conspiration des pots de beurre. » Les contemporains nous en ont parlé, mais sans déchirer son mystère. Ils l’appellent, toutefois, une crise menaçante,… à laquelle manqua un chef assez sûr pour lui donner l’élan, » « une entreprise dirigée contre un nouveau César par les derniers Romains. » Oui, une redoutable sédition, sorte de révolte prétorienne, fut, en 1802, au moment d’éclater. Sans aucun doute possible, le plan dut en être concerté, au mois de floréal, — alors qu’effrayés par l’imminence de la dictature impériale, les derniers féaux de la République, opposans du Sénat, refusaient à Bonaparte son Consulat à vie. En de telles occurrences, une crise gouvernementale était à redouter, et chacun s’attendit à un coup d’Etat. Le comité occulte de ces généraux mécontens, que dénonçait Dossonville, tint furtivement quelques conciliabules et discuta diverses questions[1]. L’Armée de l’Ouest, la seule qui fût à même de marcher sur Paris, avait conservé un organisme intact : Bernadotte reçut donc la mission de la mettre en mouvement. Elle était peu nombreuse, — une quinzaine de mille hommes, tout au plus ; mais, à chacune de ses étapes, elle pouvait s’augmenter rapidement. Des régimens entiers seraient accourus la rejoindre, fournis par les 14e et 22e divisions militaires, car dans ces deux autres contrées de la Chouannerie, le Consul et son amnistie des « brigands » avaient irrité le soldat. En Normandie, à Caen surtout, les demi-brigades s’agitaient comme en Bretagne, et un ardent jacobin, le général Liébert, commandait à Tours. Accrue de renforts, l’armée de la révolte se fût présentée devant Paris, et aussitôt, — les mêmes rapports nous l’apprennent, — la garnison eût acclamé Moreau.

Que serait-il advenu de cette révolution triomphante ? Moreau et Bernadotte auraient-ils reconstitué un Directoire ou réuni une Convention ? On peut hardiment affirmer le contraire. Non certes, ce ne fut pas pour « in trôner des avocats, » aux Tuileries ou au Luxembourg, que Simon, Pinoteau, et leurs complices risquèrent le Temple, la déportation à Cayenne, voire le peloton d’exécution. Eux aussi acceptaient volontiers un dictateur portant le glaive,

  1. Suivant toute présomption : Augereau, Masséna, Bernadotte, Macdonald, Monnier, Lecourbe et Delmas ; Oudinot, peut-être ; mais non pas Moreau… Nous aurons à parler plus longuement de ces généraux et de leur « comité ».