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en phonétique, et c’est pour cela que la phonétique doit être considérée comme une science ; au sens rigoureux du mot. Il n’y a pas de lois en sémantique, et l’on conçoit difficilement qu’il puisse jamais y en avoir. Mais si la sémantique n’est pas, à proprement parler, une science ; c’est une spéculation sans laquelle la science demeurerait incomplète. Quelques exemples suffiront à faire comprendre le genre de services que l’étymologiste doit lui demander.

Nous appelons belette l’animal que les Romains appelaient mustela et que beaucoup de nos patois, fidèles à la tradition latine, appellent encore aujourd’hui moustèlo, moutèle ou moutoile. D’où vient ce nom de belette ? On a supposé que belette était un diminutif de notre adjectif beau et que le nom de l’animal signifiait étymologiquement « la petite belle. » C’est une hypothèse que suggère la phonétique ; mais pour que cette hypothèse devienne une certitude, il faut que la sémantique nous fournisse des indications qui soient d’accord avec cette hypothèse. Interrogeons-la. Elle nous apprendra que la belette s’appelle poulido, c’est-à-dire « jolie, » en Rouergue ; bellora, où il est facile de reconnaître le diminutif latin bellula, en milanais ; kjœnne, c’est-à-dire « belle, » en Danemark ; schœntierlein, c’est-à-dire « jolie petite bête, » en Bavière ; coantig, c’est-à-dire « jolie, » en Bretagne, etc., etc. Grâce à la sémantique, nous avons ville gagnée, et l’étymologie du mot français belette ne fait plus question pour nous.

Nos serruriers appellent penture une bande plate de fer fixée transversalement sur une fenêtre ou sur une porte et dont l’extrémité est formée par un œil ou anneau qui reçoit le mamelon du gond. Littré est muet sur l’étymologie de penture ; Scheler le rattache au verbe latin pandere, « ouvrir, » parce que, dit-il, « la penture sert à ouvrir et à fermer la porte ou la fenêtre. » Si nous remarquons que l’anglais hinge, qui sert à désigner à la fois le gond et la penture, est tiré du verbe to hang « pendre, » nous aurons la véritable étymologie, et nous admettrons sans difficulté que penture est au verbe pendre dans le même rapport que tenture au verbe tendre.

D’où vient notre substantif boucher, qui désigne l’homme qui tue les animaux destinés à la consommation ou qui en détaille la chair ? Bouvelles, Turnèbe, Ménage et Caseneuve le rattachent à bouche. Pour Henri de Valois, au contraire, le boucher était