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l’atelier du laminage proprement dit, où l’on transforme le fer ou l’acier en barres par laminage en cannelures, se subdivise, pour ce qui est de l’organisation du travail et de la répartition des ouvriers, à peu près de la même façon que la tôlerie, où l’on transforme le fer ou l’acier en plaques par laminage entre cylindres lisses.

L’atelier qui porte sur notre liste le n° 4, la forge, est le royaume des mastodontes, où règnent les marteaux-pilons gigantesques et les presses moins imposantes, mais peut-être plus puissantes encore : marteaux de trente, de soixante, de cent tonnes ; presses de plusieurs centaines et, parfois, de plusieurs milliers de tonnes[1]. Domestiqués et asservis à l’homme qu’il leur serait facile de broyer d’un seul coup, les monstrueux engins obéissent en quelque sorte au doigt, et il semble qu’un enfant les manœuvrerait. La pièce à forger une fois placée sur la base qui sert d’enclume, le forgeron présente à l’énorme marteau celle des faces ou celui des points de la pièce où il faut qu’il vienne frapper ; la masse s’abat, un poing de 60 000 ou de 100 000 kilos frappe de haut, si fort que le sol en tremble et en ahane sourdement, si juste que la main la plus sûre n’y saurait mettre plus de précision, ni la plus fine plus de délicatesse.

Le forgeron est comme l’âme ou l’esprit de ce corps qu’il conduit, qui sans lui irait à l’aveugle et tomberait n’importe où, qui par lui tombe là où il est utile qu’il tombe, et par lui forge, forme, crée au lieu d’écraser. Tout naturellement, c’est lui qui est à la tête de l’équipe ; il y a autant d’équipes, — forgerons et aides-forgerons, — qu’il y a de pilons ou de presses, et généralement les équipes sont doubles, pour un travail continuel de

  1. L’usine A possède un marteau-pilon de soixante tonnes ; les usines B et C ont des pilons de cent tonnes. L’usine C a des presses de 2 500 tonnes et au-delà (plus de 2 500 000 kilos).
    « Aujourd’hui, écrit M. Le Verrier, on remplace souvent le pilon par la presse. En comprimant l’eau avec des pompes à haute pression dans un réservoir où sa meut un large piston, on peut exercer un effort pour ainsi dire illimité. Si, par exemple, l’eau est comprimée à 100 atmosphères, chaque centimètre carré de surface du piston supporte un effort de 100 kilogrammes ; un piston de 50 centimètres de diamètre transmettra, dans ces conditions, un effort total de 800 tonnes.
    « Les grandes presses à forge sont munies de jeux de pompes qui peuvent élever la pression de l’eau jusqu’à 400 atmosphères, et l’effort sur le piston peut s’élever à 4 000 tonnes. Les plus grosses masses s’écrasent sous ce poids formidable. La presse n’agit pas par chocs brusques comme le pilon ; elle avance lentement et sans bruit, mais avec une force irrésistible ; son action, au lieu de s’épuiser en un instant comme celle du pilon, est continue et ininterrompue, de sorte qu’en somme le travail avance plus vite. » — La Métallurgie, p. 201.