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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/643

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incapacité littéraire en dehors du terrain montagnard : il s’est piqué au jeu et s’est efforcé de tâter incognito l’opinion à ce sujet. En 1881, il publia, sous le pseudonyme de Hans Malser[1], un volume de nouvelles citadines, les donnant, dans une préface signée de son nom, pour l’œuvre d’un ami supposé dont il recommandait les débuts à ses fidèles. Mais la supercherie n’eut aucun succès, et il ne paraît pas que le jugement des connaisseurs ait été modifié par cette tentative. Il existe, du reste, un monument frappant de cette native incompatibilité d’humeur entre l’enfant de la forêt et le bourgeois citadin, qu’une cohabitation prolongée n’a pas suffi à réconcilier : c’est le recueil intitulé Bergpredigten (Sermons sur la Montagne) ; , car, si l’on reconnaît au passage quelques vérités utiles dans cette bordée d’anathèmes lancée sur les cités perverses, la critique s’y fait souvent si amère et si peu clairvoyante, qu’elle manque son but par un trop vif désir de l’atteindre. On dirait que l’auteur s’est souvenu que la Muerz est l’affluent d’un fleuve plus illustre, et qu’il ait voulu s’acquérir quelques droits au titre de paysan du Danube. Et d’ailleurs le véritable Sermon sur la Montagne n’est-il pas une suite de bénédictions, bien loin de présenter une litanie de reproches ?

Rosegger s’est résigné par la suite à une incapacité qu’il ne parut pas vouloir accepter tout d’abord ; bien plus, il s’en fait gloire aujourd’hui, et, dans une profession de foi dont il accentue, avec les années, la rigueur, il proclame volontiers qu’il est demeuré un paysan de goût, presque de culture. — A l’en croire, il progressa fort peu et avec la plus grande difficulté, au cours de ses études à Gratz ; sa mémoire demeura mal exercée ; il assure n’avoir jamais réparé son défaut d’instruction première, qui l’a laissé pour toujours inexpérimenté dans la théorie, et dans la classification des idées. « Souvent, écrivait-il récemment, on m’a conseillé d’abandonner pour un temps le village et la forêt, de tirer mes sujets du vaste monde, et de les approfondir par des études philosophiques. Je l’ai tenté. J’ai tiré de ces essais beaucoup d’avantages pour mon expérience personnelle, mais les traces de ces préoccupations livresques ont gâté mes histoires. villageoises, quand elles s’y laissent apercevoir… Lorsque j’ai voulu adapter mes matériaux ordinaires à l’esprit du temps, sont nés sous ma plume ces produits dont ma conscience littéraire

  1. Rabenlechner, loc. cit., p. 68.