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et le logement, la lumière, le chauffage moyennant deux dollars soixante-quinze par semaine. Avant midi, je suis installée dans une petite chambre avec ma compagne du matin et une troisième camarade inconnue. Qu’est-ce qui peut bien attirer tant de monde dans cette petite ville ? Sur ses 3 000 habitans, la moitié au moins est représentée par des jeunes gens des deux sexes employés aux fabriques et il n’y en a pas un sur cent dont la famille habite Perry. Ils viennent tous de la partie ouest de l’État de New-York. Je n’ai presque pas vu d’enfans ; les ménages sont peu nombreux, les vieilles gens se font remarquer par leur absence ; c’est une cité de jeunes contemporains mordus de la rage américaine d’indépendance et d’aventure, enchantés d’être ensemble, garçons et filles, avec une excitante possibilité de roman qui rendrait facile la plus rude besogne.

Je crois pouvoir, ayant passé plusieurs semaines au milieu des demoiselles de Perry, indiquer l’étonnante ressemblance qui existe entre elles et leurs sœurs plus fortunées des grandes villes. Les contrastes, j’en suis persuadée, ne sont que superficiels, et ne tiennent pas à l’espèce, mais à la variété.

La fille de fabrique, à Perry, n’est séparée de l’élégante de New-York que par quelques années de culture, de dressage. En Amérique, où la tradition et la famille jouent un rôle si peu important, la grande éducatrice est la dépense. C’est en possédant et en dépensant que les Américains développent leur goût, le manifestent, et révèlent la capacité qu’ils peuvent avoir pour les raffinemens de la vie.

Quelle est ma première impression sur les ouvrières qui rentrent à midi ? Forment-elles une troupe d’esclaves, victimes du labeur et des privations ? Font-elles le pitoyable échange de leur vitalité contre un gain chimérique ? La vie, ainsi, n’est-elle pour elles la diminution pure et simple de leurs forces ? Tout au contraire. Elles entrent, gaies, rieuses et jeunes. La conversation, pendant le dîner, roule sur l’amour, le travail, les salaires, la supériorité de l’existence des villes comparée à celle qu’on mène à la campagne : elle roule aussi sur le prochain, cela va sans dire. Il n’y a rien dans l’aspect de mes compagnes qui choque le bon goût. Leurs pieds, leurs mains sont élargis par le travail ; leur teint manque de cette pureté que donne une bonne alimentation ; leurs robes d’atelier sont d’une étoffe grossière ; mais, somme toute, dans les petites choses, les différences qui les