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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/714

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le travail parlementaire, c’est-à-dire de désorganiser le gouvernement ; mais la Chambre de cette époque avait reculé devant les conséquences de la réforme : on les lui avait montrées ; elle en avait été justement enrayée. Le mal dont nous souffrons depuis plusieurs années ne vient pas d’une trop grande indépendance du pouvoir exécutif, mais plutôt du vice contraire dans nos mœurs politiques. La prépondérance du pouvoir parlementaire devient de plus en plus excessive, et toutes les révisions qu’on propose d’appliquer à nos lois constitutionnelles ont précisément pour but d’y mettre un frein. Mais la Chambre ne s’arrête pas à des considérations de ce genre : elle les laisse aux théoriciens, et elle suit sa pente naturelle qui la pousse à un accaparement toujours plus complet des autres pouvoirs. L’inauguration des grandes commissions lui a fait faire un pas de géant dans cette voie. A une autre époque, le gouvernement aurait compris qu’il s’agissait pour lui d’une question d’existence, et il se serait défendu : celui d’aujourd’hui s’est jugé trop faible pour essayer de le faire ; il n’a rien dit ; il ne s’est opposé à rien, et les grandes commissions parlementaires se sont dressées parallèlement à ses ministères comme autant de forteresses avec lesquelles il faudra désormais compter. C’est l’organisation révolutionnaire du pouvoir parlementaire. Et il n’y a pas là un simple accident, qui resterait très dangereux quand même il ne serait pas la résultante fatale de tout un ensemble d’idées et de faits. Un esprit nouveau souffle sur la Chambre, et, puisque nous parlons des faits qui en dérivent logiquement, en voici un : pour n’être pas le plus grave, il n’en est pas moins un des plus significatifs.

On a beaucoup parlé, après le siège des légations européennes et l’entrée des troupes alliées à Pékin, d’un rapport que le général Voyron avait adressé à son ministre. L’occupation de Pékin a été accompagnée de désordres, comme il arrive toujours en pareil cas. Il est probable qu’à l’exemple du général Voyron, les commandans des autres détachemens européens en ont fait aussi un compte rendu fidèle à leurs gouvernemens respectifs ; mais ceux-ci n’en ont rien dit, et l’opinion autour d’eux est restée muette, n’éprouvant à aucun degré le besoin de jeter un peu de boue sur des forces, quelle qu’en fût la nature, où chaque nation reconnaissait quelque chose d’elle-même. Il n’y a qu’en France qu’on ait agi autrement. Le bruit s’était répandu que le général Voyron racontait avec sévérité certains faits où des missionnaires avaient été mêlés. L’horreur qui s’était attachée aux jours du siège était sans doute une circonstance atténuante : mais nos radi-