Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/769

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considéra la zone qui nous séparait initialement de l’adversaire comme un champ d’exploration et d’action lui appartenant en propre, où devaient se produire de grands chocs avec la cavalerie ennemie. L’importance capitale attribuée à leur résultat fit dès lors diriger toute l’instruction en vue de la grande rencontre.

De même la réunion de la cavalerie en grandes masses est devenue une conséquence naturelle de cette conception. Des divisions ont été formées et leur groupement en corps de plusieurs divisions a été prévu.

Le règlement du 31 mai 1892 donne à cette idée directrice une consécration officielle. « Le Comité, dit-il, s’est d’abord préoccupé de tracer d’une façon générale les règles de la tactique de la division, unité de combat de la cavalerie. » Le règlement du 28 mai 1895 ajoute : « Ces divisions ou brigades peuvent être groupées en corps de cavalerie. »

Prenant appui sur ces textes, la cavalerie s’enferme de plus en plus dans son isolement. Elle va tendre à former le plus grand nombre possible de divisions dites indépendantes. Son rêve est d’opérer seule ; et elle le réalisera, en obtenant des différens ministres de la Guerre des manœuvres séparées des autres armes.

Les brigades de corps, c’est-à-dire les deux régimens non endivisionnés qui relèvent des généraux commandant les corps d’armée, vont aussi chaque année se livrer à des manœuvres spéciales coûteuses et inutiles, sous prétexte de s’exercer à des évolutions supposées nécessaires dans la bataille de cavalerie. Au fond, leurs généraux nourrissent l’espoir qu’au moment d’une guerre, ces brigades de corps, réunies en divisions, pourront également devenir indépendantes et contribuer à former les corps de cavalerie rêvés par les grands chefs de l’arme.

Cette conception, accueillie avec faveur par la cavalerie, flatte l’esprit de corps des officiers, d’autant plus que ceux qui appartiennent à des régimens attachés aux corps d’armée se considèrent comme en exil de leur arme, et sont presque humiliés de leur situation, qu’ils jugent inférieure à celle de leurs camarades des divisions indépendantes.

Il ne s’agit donc plus de savoir si la réunion de ces grandes masses ne privera pas les différens groupemens de l’armée des escadrons qui leur sont indispensables pour manœuvrer et combattre.