descendante de quelque vieille dynastie, elle a oublié l’humilité de ses origines. Chez Rubens, chez Véronèse, chez Tiepolo, elle ne prie plus, elle n’adore plus : elle règne ; elle ne regarde plus l’enfant, mais les rois qui se prosternent. C’est la Reine des cieux, la « Régente terrienne, l’Emperière des infernaux Palus. » Regardez-la dans l’Adoration des Bergers de Rubens, à Munich : elle découvre d’un geste noble et triomphant le petit Dieu qu’elle fait la grâce de montrer à la foule, qu’elle se sent libre de ne pas faire voir, de cacher si elle le veut, même aux anges suspendus sur sa tête, et qui n’est plus tant son Dieu que son fils et son fils qu’elle montre avec un orgueil non pas tant maternel que royal, du geste qu’eût trouvé Anne d’Autriche pour faire voir leur Maître suprême aux va-nu-pieds révoltés, mais soudain apaisés et ravis d’avoir un si joli petit roi.
Cette évolution se poursuit encore. Avec les modernes, l’orgueil royal s’est adouci, fondu en un orgueil maternel. Certes, celui-ci n’est pas moindre, mais il est autre. Déjà, il éclate chez le Corrège. La Vierge ne prie plus : elle ne pense pas à l’Eternel, bien moins encore pense-t-elle aux hommages des visiteurs ou à la rafale d’anges qui passe sur sa tête ; elle pense à l’Enfant dont elle est fière et qui est pour elle un Dieu quand il ne le serait pour aucun autre ! Dans la lumière émanée de l’Enfant-soleil où elle baigne ses paupières et tout son beau visage, elle semble murmurer les mots d’Alphonse de Liguori : « Mon Fils, mon Dieu, mon cher Trésor, tu dors et je meurs pourtant de beauté. — En dormant, ô mon Bien, tu ne regardes pas ta mère, mais l’haleine de ta bouche est un feu pour moi. — Vos yeux, même clos, me blessent d’amour, quand vous les ouvrirez, que sera-ce ? — Tes joues de rose me volent mon cœur, ô Dieu, et pour toi cette âme expire. Elles me forcent à te baiser, ces lèvres si rares ; pardonne-moi, cher, je ne puis, non, je ne puis m’en priver » Et la lumière de l’Enfant croît, enflamme, rougit tout, jusqu’au-dessous des nuages.
Au fond de la petite chambre du musée de Munich, Rembrandt, le grand précurseur de tous les sentimens modernes, donne la même impression que le Corrège. En découvrant l’Enfant lumineux pour le montrer aux Bergers, la Vierge hollandaise n’a d’yeux que pour lui et ne rayonne que de sa lumière. Le même sentiment illumine toutes les figures de vierges contemporaines. Il diffère selon les artistes, mais il appartient