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ou cette multitude de petits oiseaux rangés autour de l’Enfant Jésus, et cette pie posée au bord du toit. Regardez, au Louvre, la curieuse étude de lézards évoluant en tous sens, la tête en bas, sur cet angle de vieux mur donné pour abri à la Sainte Famille par Fra Filippo Lippi. L’artiste n’a mis aucun symbole profond en ces petites botes. Il savait faire les lézards. Il n’y avait point alors d’exposition d’animaliers ou il pût les peindre, il les a mis où il pouvait : près du bon Dieu. Mais toute cette nature animale répandue par les Primitifs sur la terre et dans l’air, autour de la crèche, célèbre à sa façon, par sa joie de se montrer, le règne de la pitié qui commence. Ce lézard qui se promène, ici, sans crainte, vous le retrouverez dans la galerie des antiques, mais frappé par un Dieu du paganisme, par l’Apollon sauroctone. Ici, il ne craint rien. Et tous ces animaux réunis autour de la crèche seront plus ou moins protégés par les anachorètes et par les saints dans leurs ermitages. Aux dieux chasseurs, aux dieux tueurs d’êtres vivans, succède le Dieu charmeur, le Dieu apprivoiseur qui étend sa miséricorde sur toutes les créatures…

Aussi, est-ce le monde entier, sous ses espèces les plus diverses et les plus singulières, qui vient saluer l’Enfant dans les ruines du monde ancien, comme la seule espérance et le salut. Ruines d’un palais antique, c’est en effet le décor où l’Art a toujours placé la crèche. L’Histoire veut qu’elle fût dans une grotte creusée dans les roches, ce que dans le Midi de la France on appelle une balme ou une baume, et les visions de Catherine Emmerich confirment cette donnée. « C’est dans une fissure de rocher qu’est né l’architecte du firmament. » Mais l’art n’a pas accepté ce décor. Il a fait toujours une étable, ou plutôt un hangar fort propre et en très bon état chez les Primitifs italiens, troué, ruiné chez les Allemands, mais le plus souvent construit dans les ruines de quelque majestueux palais. Ce palais est ce que le peintre avait de plus riche et de plus puissant sous les yeux au moment où il peignait : maison hollandaise à toit dentelé ou château gothique à nervures ogivales, mélange infiniment pittoresque de voûtes à claires-voies, de tours éventrées, de pierres disjointes d’où jaillit tout une flore imprévue. Et c’est par les trous du chaume qu’on aperçoit l’étoile.

Au dernier plan, enfin, parmi les mamelons, au-delà des pâturages où sont répandus les troupeaux, au-delà des gradins