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d’autrui. Mais voyez sur ce point les sentimens de la douce et molle Mme de Warens, née comme Rosegger sur les pentes alpestres : « Ce qu’il y avait de bizarre, dit, à son sujet, l’auteur des Confessions, c’est que, sans croire à l’enfer, elle ne laissait pas de croire au purgatoire. Cela venait de ce qu’elle ne savait que faire des âmes des méchans, ne pouvant les damner, ni les mettre avec les bons jusqu’à ce qu’ils le fussent devenus. » — Et, rappelant le souvenir d’un poète breton du milieu du siècle, un fin critique[1] soulignait récemment cette aversion pour l’éternité des peines, née, dans le cénacle qui entourait Alfred de Vigny, d’une trop vive sympathie pour son Eloa. — Rosegger assure que des sentimens analogues se développèrent prématurément dans son cœur. Tout enfant, alors que ses talens de lecteur étaient déjà renommés dans Alpel, on venait souvent le chercher afin de consoler les agonisans par l’audition de quelque exhortation pieuse. Le petit Pierre emportait alors le seul ouvrage d’édification que possédât la maison paternelle : Description de la vie de Jésus-Christ, de sa mère Marie et de nombreux saints de Dieu. Un trésor spirituel, par le P. Cochem. — « Seulement, dit-il, le Père Cochem n’a pas écrit grand’chose qui puisse servir de consolation à de pauvres créatures souffrantes. Il pense que Dieu est infiniment juste, les gens infiniment méchans, et que les neuf dixièmes de l’humanité courent tout droit vers l’enfer.

Aussi je projetais cette fois, tout en faisant mine de lire dans le livre, de dire à Sepp quelques paroles consolantes sur la misère terrestre, la patience, l’amour de ses frères, et comment, en ces choses, consiste la véritable Imitation de Jésus, qui nous donne en retour, quand l’heure sonnera, un doux assoupissement pour le passage de l’éternité. » En somme, c’est bien cette doctrine que Rosegger a prêchée depuis lors, plus ou moins heureusement, dans son œuvre, recommandant la discrétion dans l’emploi de la menace, et la considération sérieuse des circonstances, avant de recourir au pouvoir de la peur. — D’aucuns pourront penser qu’il est trop doux là où il accuse les autres d’être trop rudes, et qu’il a trop bonne opinion de la nature humaine : affaire

  1. L. Séché sur Emile Péhant. Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1900 : « Son christianisme, comme celui de son maître, était par-dessus tout une religion de pitié, de tendresse et de miséricorde. Depuis qu’il avait lu Eloa, les peines éternelles révoltaient sa sensibilité… La question hantait l’esprit songeur du jeune poète, qui la résolut par la clémence ou la suppression de l’Enfer, longtemps avant que Vigny eût pensé à donner la même fin à son poème.