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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/931

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Non pas qu’Obenaus ne fût, lui aussi, un fort honnête homme, assidu à remplir consciencieusement ses devoirs : mais je croirais sans peine qu’ayant eu beaucoup d’enfans à élever en sa qualité de précepteur, il avait pris en aversion l’espèce tout entière, et que le duc de Reichstadt lui apparaissait simplement comme une dernière, — et d’autant plus fâcheuse, — incarnation de l’ « élève. » M. Wertheimer, qui a eu entre les mains son Journal intime, avoue que, « à chaque page y reviennent, appliquées au duc de Reichstadt, les mêmes épithètes : entêté, sournois, réfractaire, violent, » etc. Et, jugeant ainsi son élève, il le traitait en conséquence. C’était évidemment un de ces pédagogues qui considèrent comme mutile, pour ne pas dire dangereux, de perdre leur temps à essayer de comprendre l’âme des jeunes adversaires qu’ils ont à dompter.

Tout autre est le cas du comte Dietrichstein, qui, du reste, doit porter seul devant nous, de même qu’il la portait devant Metternich, la responsabilité de l’éducation donnée au fils de Napoléon. Celui-là n’était pas seulement un fonctionnaire irréprochable : il souhaitait sincèrement le bien de son élève, et peut-être même éprouvait-il pour lui une certaine affection personnelle. Mais il l’aimait un peu à la façon dont Torquemada aime les hérétiques, dans le drame de Victor Hugo. C’était pour le bonheur du duc de Reichstadt qu’il s’ingéniait infatigablement à le torturer, afin d’extirper de son cœur, par ce moyen, l’élément démoniaque que le malencontreux hasard de sa naissance ne pouvait manquer d’y avoir déposé. Toute son attitude à l’égard de son élève, durant les quinze ans de leurs relations, est exactement celle d’un exorciste travaillant à délivrer un petit possédé, ou encore celle d’un « psychiatre » qui s’est juré d’avoir raison d’une « tare héréditaire. » En vain le petit prince ouvrait sur Dietrichstein ses beaux yeux bleus, pleins de tendresse et d’ingénuité : le gouverneur n’en était que plus ardent à vouloir le sauver de la damnation. Tandis que Metternich, en dirigeant l’éducation de l’enfant « dans des voies éclairées, » ne voyait que le danger qui pourrait résulter pour l’Europe d’un second Napoléon, Dietrichstein, plus humain, s’effrayait du danger qui en résulterait sûrement pour l’enfant lui-même. A tout prix, celui-ci devait cesser d’être ce qu’il était ! Le petit loup devait être transformé en un petit mouton !

Les transformations de ce genre sont malheureusement difficiles ; mais Dietrichstein y mit tant de zèle qu’il put presque se flatter d’avoir réussi. L’élément diabolique ne fut pas aussi complètement extirpé du cœur de l’enfant que l’aurait souhaité l’honnête gouverneur ; mais il