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fermes, commençant à ne plus trouver sur leur propre sol le taux très élevé de profits qu’ils recueillaient autrefois, les Américains s’occupent à leur tour de faire des entreprises à l’étranger. Si l’Amérique centrale et méridionale leur offre déjà des débouchés, ils espèrent en trouver de plus considérables encore dans cet Extrême-Orient dont ils sont plus rapprochés qu’aucun pays européen. Sachant mieux que personne équiper, un pays neuf, pouvant apporter en Chine tout l’outillage mécanique de la civilisation européenne plus vite et moins cher qu’aucune autre nation, ils ont certes le droit de compter qu’un très grand rôle leur sera dévolu dans la transformation du Céleste-Empire et dans l’immense accroissement de négoce qui en résultera.

L’expansion politique n’est-elle pas, dans une large mesure, la condition de cette expansion économique qui, elle, est, à n’en pas douter, la destinée manifeste des Etats-Unis ? Là se trouve le nœud de la question. Les Américains du Nord ne sauraient tolérer qu’on leur ferme l’Extrême-Orient. Or, une maxime bien connue dit que le commerce suit le drapeau : Trade follows the flag. Ce n’est même pas seulement de commerce qu’il s’agit, c’est d’une foule d’entreprises, c’est de l’emploi de vastes capitaux, du travail de nombreux ouvriers et, quoi qu’il en soit de la valeur générale du mot que nous venons de rappeler, les diverses puissances qui aspirent à la succession ou à la tutelle de l’homme malade de Pékin sont toutes, sauf l’Angleterre, très protectionnistes, et toutes, l’Angleterre comprise, ont fort à craindre la concurrence américaine. Ménageront-elles les intérêts de l’Union, si celle-ci n’a aucun moyen de faire sentir sa puissance ? En Amérique, sa prépondérance est telle que nul n’oserait lui rompre en visière ; vis-à-vis de l’Angleterre, elle est toujours très forte, en quelque point du globe qu’éclate une discussion, parce qu’elle a sous la main le gage du Canada ; mais, vis-à-vis d’autres puissances et en Asie, que peut-elle ? Pour se faire respecter, ne lui faut-il pas une flotte puissante, et, comme complément nécessaire, des stations navales fortifiées, dépôts de charbon et points d’atterrissage de câbles ?

On ne saurait nier la force de ces raisonnemens. Pour accomplir ses destinées, l’Union croit qu’elle doit dominer le Pacifique et, comme corollaire naturel, construire le canal interocéanique, être la maîtresse de la mer des Antilles, sans quoi des ennemis pourraient venir couper toute communication entre