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de M. Brunetière sur les genres littéraires. Pour lui, un genre littéraire est une réalité comme une idée est une réalité pour les « réalistes » du moyen âge, et c’est une réalité qui obéit aux lois générales du développement, du déclin et de la mort, et par conséquent c’est un être, et je ne vois pas pourquoi M. Ouvré ne « lâche pas le mot ; » car une réalité soumise aux lois générales du développement des êtres organisés est bien un être : « La Poétique d’Aristote expose les innovations qui s’opèrent de Thespis à Eschyle et d’Eschyle à Sophocle et nous démontre qu’un groupe d’idées est une réalité, non pas concrète, mais consistante, et qu’il obéit aux lois générales de la croissance et de la destruction. »

Pour M. Ouvré, un genre est donc bien un être qui naît, qui croît, qui se ramifie, dont les rameaux peuvent se séparer du tronc et se constituer loin de lui en êtres à part qui se ramifient et se subdivisent à leur tour. Avoir celle conception et la suivre, c’est ce que M. Ouvré appelle spirituellement « user d’hypostases, » c’est-à-dire d’incarnations : « J’ai beaucoup usé d’hypostases ; j’ai présenté les doctrines et les formes esthétiques avec la netteté physique d’un corps, et, dans ce drame de la pensée grecque, le Platonisme, la Sophistique, le Conte, la Tragédie, ont joué le rôle de personnages concrets. »

Mais M. Ouvré limite cette méthode à la partie de l’histoire de la littérature grecque qu’il a étudiée et semble ne la croire applicable qu’à cette partie-là : « En ceci je raisonnais à la grecque ; mais en outre je calquais mon raisonnement sur la vie grecque, plus simple et plus institutionnelle que la nôtre. Pour un contemporain de Périclès, ces réalités sociales étaient hautement réelles et impératives ; elles devaient donc l’être pour nous, et des analyses inspirées du même esprit s’imposeront à l’historien des nations jeunes et coutumières. Arrivant à l’époque récente, il faudrait que la critique abandonnât les cadres inflexibles et s’intéressât davantage aux croisemens des séries causales, à ces rencontres où notre ignorance voit le caprice du hasard. »

Je sens très bien qu’il y a beaucoup de vrai dans cette distinction, dans cette réserve et même, si l’on veut, dans cette timidité. J’entends très bien qu’à mesure que les genres se subdivisent, puis s’entre-croisent, puis se substituent les uns aux autres, puis, ce qui est le plus embarrassant, cherchent à se reconstituer et à se ramasser à nouveau dans une de leurs formes