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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/238

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cela. La mémoire de Baudin est très respectable. Il y a peu d’hommes dont la vie ait été aussi inconnue, mais sa mort a créé sur lui une légende. Il a été tué bravement sur une barricade, le 3 décembre 1851, pour la défense de la Constitution violée par le Président de la République lui-même, qui violait du même coup le serment d’honneur qu’il lui avait prêté. Cela est méritoire. Cependant la légende s’est faite avec lenteur, et elle n’aurait jamais pris un grand développement si, dans les dernières années de l’Empire, Gambetta n’était pas sorti plein de foudres et d’éclairs de l’ombre grise de Baudin. Cela a enseigné le nom de ce modeste héros à une génération qui ne le connaissait pas. Quoi qu’il en soit, et bien à tort sans doute, la population de Paris a toujours été froide pour Baudin. Elle l’a laissé tuer, il y a cinquante ans, avec la plus parfaite indifférence, et elle a laissé célébrer sa mort, il y a quelques jours, sans y prendre grande part. Il est vrai que la célébration a eu lieu à neuf heures du matin, par un triste jour d’hiver, et au milieu d’un cortège où il y avait tant de militaires et de policiers que, s’il n’avait pas été coulé en bronze, Baudin n’en aurait peut-être pas été très rassuré. On demandera pourquoi il y avait là tant de militaires et de policiers : c’est que le gouvernement, au lieu de faire de la cérémonie une fête pour Paris, en avait fait une fête contre Paris, et qu’il n’était pas bien tranquille sur les conséquences de cette fantaisie. Ce n’est un secret pour personne que le gouvernement et le Conseil municipal de Paris ne peuvent pas se souffrir. La situation n’est pas précisément neuve ; elle s’était déjà produite autrefois ; mais, quels que fussent leurs sentimens réciproques, le gouvernement et le Conseil municipal s’étaient toujours bien tenus en public l’un à côté de l’autre, un peu guindés peut-être, mais d’autant plus corrects. Depuis les dernières élections municipales, tout cela est changé. Ces élections ont été un gros échec pour le gouvernement. Paris lui a montré qu’il n’était pas avec lui. Mais, comme le gouvernement a eu des compensations en province, et que nous ne sommes plus au temps où Paris fait à lui seul des révolutions pour le reste de la France, ce n’était là qu’un de ces désagrémens dont il est spirituel de prendre son parti. Le gouvernement ne l’a pas pris : il ne manque aucune occasion, il les recherche même, de se montrer dédaigneux, offensant, agressif à l’égard de l’Hôtel de Ville. Il semble qu’un duel soit en permanence entre le président du Conseil des ministres et celui du Conseil municipal : on se bat à coups de mauvais procédés. Il faut convenir que l’initiative est venue du président du Conseil municipal ; mais ce n’était pas celui d’aujourd’hui. C’était