Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout une observation bien attentive des habitudes de Fouquet, qui garda toujours ce respect du détail exact, comme une affirmation probante de sa rigoureuse sincérité. Sans doute, l’inscription, Le Très Victorieux Roy de France, jamais employée avant la reprise de la Guienne (1451), peut avoir été ajoutée après coup. Qu’importe ? Cette date même (1450 à 1460) ne se lit-elle pas dans les traits du modèle et dans le style de la peinture ?

Si Charles VII, à cette époque, est le « Très Victorieux, » c’est aussi le « Très Malheureux. » Les désillusions, de toutes parts, l’accablent en même temps que la gloire. Sa bonne conseillère des mauvais jours, Agnès, est morte ; le Dauphin, son fils, en exil, maudit, de loin l’inquiète et le menace. L’ancien roi fainéant devenu, sur le tard, un vrai roi, justicier, laborieux, populaire, ne sent, autour de lui, qu’un fourmillement d’ingratitudes et de trahisons. Avant qu’il se laisse mourir, il est, depuis longtemps, usé, navré, flétri. Sous son lourd chapeau bleu rayé de zigzags blancs, dans son épaisse jaquette, quelle allure triste et comme endolorie ! Traits tirés, face bouffie, chairs congestionnées et couperosées. Un tel visage porte-t-il moins de quarante-cinq à cinquante ans ? Évidemment, le peintre a été aussi franc, d’une franchise rude et virile, avec son roi, qu’il l’a été avec lui-même. La ressemblance est criante, d’une exactitude implacable et qui apitoie. Tel sans doute apparaissait le, pauvre Charles, écoutant la messe, entre les rideaux de sa logette, à la Sainte-Chapelle de Bourges, où le tableau resta jusqu’à la destruction de l’admirable édifice par le cardinal de La Rochefoucauld, en 1757. Quand Fouquet voudra donner de son roi une image moins pénible, il saura bien, d’ailleurs, retrouver, sous le masque de l’âge et des souffrances, le galant chevalier d’autrefois ; vers le même temps, dans une miniature célèbre, l’Adoration des Mages, Charles VII, aussi grave, mais moins accablé, et retrouvant, pour la circonstance, sa noble allure, s’agenouille aux pieds de la Vierge. C’est bien exactement le même homme, du même âge, avec les mêmes caractères, mais l’expression est tout autre et suffit à le transformer. Après tout, n’en est-il pas de même dans la vie ? L’homme d’État qui se lève, énervé, maussade, fripé, se ressemblera-t-il à lui-même une heure après, dans une cérémonie publique, sous le feu de la parole ou de l’action ? Rien ne prouve mieux encore la sagacité et la souplesse de l’artiste véridique. Quant à sa technique, malgré l’usure et