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Chantilly, deux au Musée du Louvre, un à la Bibliothèque Nationale, un au British Muséum ; 2° 11 miniatures des Antiquités judaïques à la Bibliothèque Nationale ; 3° une partie de l’illustration des Chroniques de France (Fr. 6465. Bibl. Nat.). On y doit joindre le frontispice d’une traduction de Boccace, Du cas des nobles hommes et femmes, à la Bibliothèque de Munich (vers 1459), el, très vraisemblablement, un frontispice des Statuts de l’ordre de Saint-Michel (vers 1462), qui lui a été restitué par la clairvoyance de M. Paul Durrieu.

Des trois séries ci-dessus, la plus parfaite, celle qui, d’un bout à l’autre, porte la marque d’une exécution personnelle et attentive, sans intervention d’élèves, est celle qui, commandée par maître Etienne Chevalier, porte, à chaque feuillet, les initiales, en or, du grand dignitaire. C’est là que, rentré en son logis, tout fraîchement ravi des clartés d’Italie et des élégances toscanes le bon ouvrier les accommoda, avec le plus de charme et de verve, à ses habitudes d’observation nette et franche ; c’est là que, sans se soustraire en rien aux exigences natives de son tempérament tourangeau, plus positif que rêveur, plus sensible aux réalités de la vie active qu’aux inquiétudes d’un idéal mystique ou littéraire, il purifia pourtant, il agrandit, il poétisa, par un sentiment nouveau de grâce et d’harmonie, le réalisme septentrional, à l’heure même où, chez les Flamands sédentaires, malgré la supériorité exceptionnelle de Van der Weyden et de Memling, eux aussi, d’ailleurs, allégés et exaltés par le contact de l’Italie, ce réalisme allait vite dégénérer en un maniérisme prosaïque de laideur grimaçante et brutale, mal sauvé le plus souvent par la routine d’une technique insuffisante et attardée.

Dès que les yeux, dans la tribune de Chantilly, s’arrêtent sur la suite des feuillets alignés où reluisent les initiales d’Etienne Chevalier, c’est d’abord, pour eux, un ravissement d’ensemble. Une clarté générale, une clarté délicieuse, la clarté toscane, qui est aussi la clarté française, illumine ces histoires minuscules. C’est le coloris doux et tendre des fresques florentines, de Masaccio et d’Angelico, d’Uccello et de Castagno, avec leurs délicatesses matinales et printanières d’harmonies argentines dans les visages blancs, les étoiles fraîches, l’atmosphère limpide, les architectures légères, les paysages aérés. C’est leur ordonnance pondérée, facilement intelligible, où les figures principales dégagent, tout de suite, leurs attitudes et leurs