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ainsi, les personnes de la Trinité, trois beaux jeunes hommes, en blanc, de tailles pareilles, d’attitudes pareilles, légèrement diversifiés dans le geste et l’expression, assis sur un banc-d’œuvre gothique à trois niches et dais flamboyans ; ainsi, la petite Vierge tourangelle, assise, elle aussi, dans une chaire gothique, une chaire épiscopale ; ainsi, en bas, comme dans une église, la foule des fidèles, religieux et laïques, vue de dos, assistant, de loin, à l’apparition lumineuse de ce conseil des divinités tenant séance dans le vitrail resplendissant.

En revanche, lorsqu’il s’en tient aux scènes terrestres de l’Evangile, Fouquet les rajeunit et les renouvelle avec une fertilité d’inventions et un bonheur de trouvailles qui le mettent fort au-dessus de ses contemporains. Presque tous les Italiens, on le sait, sauf Fra Angelico, même les plus grands et les plus hardis, se contentent alors, et se contenteront longtemps, de moderniser les scènes traditionnelles du drame sacré par le seul changement du style, sans modifier sensiblement l’ordonnance consacrée, en sorte qu’on retrouve à la même place, dans les mêmes attitudes, depuis Giotto jusqu’à Raphaël, et même au-delà, tous les personnages déjà fixés dans les miniatures ou mosaïques byzantines. Fouquet, lui, n’hésite pas à modifier la formule consacrée, pour trouver une mise en scène plus naturelle, si c’est possible, et plus simplement humaine, l’exemple de cette hardiesse lui avait été donné par la piété ingénieuse du bon moine de Saint-Marc, dont les panneaux sur la Vie du Christ, conservés à l’Académie des Beaux-Arts, à Florence, prouvent, à cet égard, l’esprit libre et novateur. Le Français, laïque et lettré, prend plus de libertés encore avec les formules ecclésiastiques ; mais, s’il s’écarte, plus souvent que Fra Angelico, de la lettre de l’Evangile, il lui arrive souvent aussi de trouver, dans une étude plus attentive du texte, des élémens nouveaux d’émotion dans le développement de son drame. Ainsi, par exemple, dans la représentation de la Cène (qu’il place dans une salle d’auberge parisienne, d’où l’on voit, par la porte ouverte, l’abside de Notre-Dame), neuf apôtres sont rangés sur des bancs de bois, autour d’une table ronde, trop étroite pour huis, près d’une grande cheminée flambante, tandis que les autres, debout, se mêlent aux assistans respectueux et curieux. Fouquet, le premier, je crois, y donne à Judas son vrai geste, le geste noté par saint Marc et saint Mathieu Les peintres antérieurs, presque toujours,