et en vérité, mon cher philosophe, que les choses ; je prends de l’humeur quand mon souper est mauvais ou ma maîtresse coquette ou mon ami ingrat, mais les affaires des souverains ne m’en donneront jamais, de même que les propos du public ne me feront ni presser ni retarder les opérations que je croirai utiles ; aussi, dans ce cas particulier, j’ai répondu lanterne aux Impératrices et j’ai nié en France la vérité de la lettre.
Ce prince périra tôt ou tard ; sera-ce un bonheur ou un malheur politique ? On peut assurer du moins que l’humanité gagnera à sa non existence. Si vous êtes chargé de son oraison funèbre, je vous fournirai la division de votre vis-à-vis. Les talens et la témérité de Luc serviront à sa louange, son moral et le défaut de sensibilité de son cœur couvriront sa mémoire de blâme et terniront le désir immodéré de gloire qui l’a fait agir. Voilà ce que j’en penserai après sa mort ; quant à présent, je crois que le pauvre prince ne suit pas bien véritablement ce qu’il veut ; si il souhaite la paix, il est le maître de procurer le bien au monde ; si il veut continuer la guerre, les injures de goujats qui coulent de sa plume n’augmenteront pas ses forces et n’animeront pas davantage ses ennemis contre lui. Il dit dans sa lettre que je suis un scélérat et qu’il ne me connaît pas ; je réponds qu’il est un prince funeste que je ne me soucie pas de connaître. Il vous écrira s : ins doute une nouvelle lettre d’après le carnage qu’il a occasionné auprès de Torgau ; il est certain qu’il a été battu toute la journée et que les Autrichiens ne se sont retirés sous Dresde que d’après le projet qu’ils en avaient formé deux jours avant la bataille. La Cour de Vienne aime bien mieux que le roi de Prusse soit en Saxe qu’en Silésie. Je ne crois pas qu’elle ait raison, mais c’est un fait.
« J’ai écrit à Strasbourg, sur la demande de M. Dargental, pour que M. Dufresnoy reçoive votre balot de Czars et le fasse passer à Vienne. Le Roi a accepté avec toutes sortes de grâce celui que vous lui avés donné.
« On nous fait espérer Tancrède à la Cour ; j’irai y pleurer. Adieu, mon cher Solitaire, je vous embrasse de tout mon cœur.
La bataille de Torgau, dernier épisode de la campagne de 1760, avait été, contrairement à l’interprétation qu’en donne le duc de Choiseul, probablement encore mal informé[1], une
- ↑ La bataille avait eu lieu le 3 novembre.