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seau ; cette scène ou plutôt cette suite de scènes ont dans l’opéra la même valeur que l’andante entre le premier allegro et le finale d’une sonate ou d’une symphonie. C’est la part faite, après l’action, à la méditation et à la rêverie. Jeune comme Siegfried, élevé comme lui dans l’ombre des cavernes, le Centaure de Maurice de Guérin se demandait : « Quels sont donc ces dehors mystérieux où ma mère s’emporte ? » La musique ici les révèle à Siegfried étendu sur le gazon. Wagner anime non seulement les êtres, mais les choses, fût-ce les plus humbles et les plus viles. Il y a quelques instans, la forge entière vivait. Le marteau, l’enclume et le soufflet, le feu, le fer et l’eau, les outils et la matière même du travail prenaient entre les mains du gnome une vie imparfaite et misérable, une vie surabondante et radieuse entre les mains du héros. Et maintenant la terre contre laquelle il est couché, le vent qui sèche sur son front la sueur du combat, l’arbre et l’oiseau qui chantent ensemble au-dessus de sa tête, le printemps et le matin lui parlent. Ici le souvenir de Beethoven est inévitable : je devrais dire les souvenirs, car les « Murmures de la forêt » me rappellent toujours, autant que l’andante de la Symphonie pastorale, d’autres pages moins populaires, exquises aussi, et dont l’intention d’ailleurs n’est aucunement descriptive : le premier morceau, brillant de trilles, de certaine sonate en sol majeur pour piano et violon. Mais c’est avec la Scène au bord du ruisseau qu’on ne manque jamais de comparer le Waldweben. Et la comparaison n’est pas absolument stérile. Elle permet de saisir quelques menues différences d’expression ou d’imitation entre la musique plus vibrante, et comme un peu plus sèche, de Wagner et celle, plus fluide, de Beethoven ; entre le bruissement de l’air et le courant de l’eau. Cela n’est pas tout. Dans l’ordre intérieur ou du sentiment, nous ne recevons pas la même impression de la musique de Wagner et de celle de Beethoven. Le héros ou plus simplement le témoin de la Scène au bord du ruisseau reste anonyme et tout idéal. Parce qu’il peut être chacun de nous, il n’est personne de nous. Dans le Waldweben, au contraire, l’effet s’accroît de la présence et de la personnalité de Siegfried, de l’homo additus naturæ. Nos yeux le voient et nos oreilles l’entendent. Notre intérêt dès lors s’attache à lui, notre sympathie se cristallise autour de lui. Moins générale peut-être, elle en devient plus précise et comme plus concrète, et cela fait la grande différence entre les deux modes principaux de l’art musical, entre la musique pure et la musique en quelque sorte appliquée.

Sous le tilleul où l’oiseau chante, Siegfried vraiment n’est pas seul à se reposer. Pour l’auditeur également, c’est un repos délicieux que