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fond de silence. Loin de couvrir la voix, c’est à peine si l’orchestre la voile, et cela donne au récitatif la beauté mystérieuse d’une forme nue et chaste à la fois. Brunnhilde enfin s’éveille, et c’est encore un des plus divins momens que le génie de Wagner ait jamais arrêtés. Il l’a même arrêté trop longtemps : non pour l’auditeur, mais pour la ! pauvre interprète, qui ne put égaler ni par le geste, ni par la physionomie, ni par la voix, l’ampleur et la splendeur de cette résurrection, de ce retour à la connaissance de soi-même et de l’univers.

La joie, pendant cette halte sublime, s’est amassée dans le cœur de la vierge et dans celui du héros. Elle va s’en échapper maintenant et former de l’un à l’autre un courant que Brunnhilde, effarouchée et rebelle, pourra bien détourner un instant, mais auquel elle finira par se livrer tout entière. De quels noms d’abord, de quels noms aussi admirables, aussi radieux que les notes, ne salue-t-elle pas « le héros qui rit, Lachender Held, » « le plaisir du monde, Lust der Welt, » « Erwecker des Lebens, l’éveilleur de la vie ! » La sonorité, non seulement de la musique, mais des paroles mêmes, défie ici toute traduction. « Erwecker, erweckt, erwacht, » rien que ce mot allemand a quelque chose de hardi, quelque chose qui monte, qui pointe, et que les mots de notre langue : « éveiller ou réveiller » jamais n’exprimeront.

Il y a, cela va sans dire, il y a des longueurs, et terribles, dans ce duo. On les oublie quand se déroule en nappe sereine la Siegfried-Idyll, la cantilène de la vierge guerrière pleurant elle aussi, sur les montagnes, la virginité que l’amour, sinon la mort, va lui ravir. Mais, à la fin, l’amour est le plus fort. La vierge au regard un instant mouillé de larmes redevient tout à coup l’une de ces « vierges au beau rire » dont un de nos poètes a parlé. « O Siegfried ! J’étais à toi éternellement ! O Siegfried ! Je serai éternellement à toi !… Ne sens-tu pas comme mon regard te consume, comme mon bras t’enlace, comme mon sang se précipite à ta rencontre ! N’as-tu point peur, Siegfried, de la vierge farouche ?… ô héros enfant, adolescent sublime !… En riant il faut que je te donne mon amour ; en riant je renonce à ma clairvoyance ! Allons à notre perte en riant ! »[1] Partout en effet, à l’orchestre, dans le chant, éclate le rire. Les thèmes de la Walkyrie, non plus ses thèmes de compassion, de mélancolie et d’humilité filiale, mais ses thèmes guerriers, équestres même, l’environnent de leur sauvage allégresse. Le duo s’achève dans une coda vertigineuse, dans

  1. Traduit et cité par Alfred Ernst (l’Art de Richard Wagner).