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généralement portés vers ces idées. Il est vrai qu’on les accusait d’être tièdes, achetés, corrompus ; dans le Midi, on les traitait d’escambarlats.

Mais ces modérés voyaient se dresser contre eux, plus exigeante et plus folle à mesure que les difficultés augmentaient, la démocratie calviniste des « fous du synode, » des « Nathans, » des « loups-cerviers, » dont parle Madiane, qui s’abandonnaient à leurs violentes passions, suivaient les voies tracées par des correspondances occultes, et qui eussent fait sauter le pays et la Cause elle-même, pour ne rien abandonner des conceptions fanatiques de leurs étroits cerveaux.

La France était, ainsi, exposée à un double péril, plein d’obscurité et de contradiction : les puissances rivales, et même les puissances catholiques, suscitant chez elle les passions et soutenant, au besoin, les violences du parti protestant, et les protestans criant à la trahison, si on n’agissait pas vigoureusement, en Europe, contre ces mêmes puissances dont ils étaient, sous-main, les auxiliaires, sinon les alliés. Dans les conseils du gouvernement, tout le parti espagnol et catholique criait au Roi qu’il fallait en finir avec les protestans. Le parti protestant criait au Roi qu’il fallait se ruer sur l’Espagne et en finir avec la Maison d’Autriche, quitte à se soulever dès que la guerre serait bien engagée. Entre ces deux politiques, quel parti prendre ?

Il y avait de bonnes raisons pour l’un ou l’autre choix. Mais, pour ne pas choisir et mener à bien, en même temps, les deux tâches contradictoires, pour abattre la catholique Espagne, tout en contenant le parti protestant, il eût fallu autrement d’habileté, de vigueur. Il eût fallu un génie supérieur pour s’arracher aux influences particulières, les dominer, les opposer l’une à l’autre, les annuler l’une par l’autre, ou les soumettre, Tune et l’autre, au joug du bien public. Il eût fallu une autorité sans pareille pour demeurer ferme en un tel dessein, sans souci des intrigues, des oppositions, des échecs apparens ou secondaires, en se refusant même l’aide et le réconfort d’expliquer au pays le but secret vers lequel on l’eût conduit, parmi tant et de si périlleuses traverses.

Luynes n’était pas l’homme d’une telle situation, et il ne pouvait pas être l’ouvrier d’une telle œuvre. Il avait peur des événemens ; les événemens le poussaient ; il se laissa porter par eux. Il se décida ou plutôt il s’inclina selon ses tendances